Ces chiffres reflètent le durcissement de la politique d’immigration dominicaine et la persécution sociale dont sont victimes les populations vulnérables et noires qui ont migré pour fuir la violence qui règne en Haïti.
La Direction générale des migrations (DGM) dominicaine a annoncé le rapatriement d’au moins 35 276 migrants haïtiens en août, qui s’ajoutent aux plus de 250 000 déportés entre janvier et juillet. Un récent communiqué de l’agence souligne que 115 000 autres migrants ont quitté le pays « de leur plein gré » depuis le début de l’année. Ces chiffres reflètent non seulement un durcissement de la politique d’immigration, mais aussi une persécution sociale à l’encontre des populations vulnérables et noires qui, dans de nombreux cas, ont migré pour fuir la violence et la faim.
S’inscrivant dans la lignée du président américain Donald Trump, qui a transformé le discours anti-immigration en étendard idéologique, le gouvernement actuel de la République dominicaine a utilisé la stigmatisation des étrangers en situation irrégulière comme moyen de promouvoir le nationalisme. Persécutions racistes, détentions arbitraires et expulsions massives font désormais partie du quotidien de la DGM, qui se targuait début août de « maintenir une moyenne de plus de 30 000 expulsions [d’Haïtiens] par mois ».
Le collectif Migration et Droits Humains, composé de diverses organisations dominicaines, a présenté au gouvernement une série de propositions visant à aborder la politique migratoire sous un angle non seulement humain, mais aussi économique et social. « Il s’agit d’un phénomène structurel qui soutient des secteurs essentiels de notre économie, tels que la construction, l’agriculture et le travail domestique, dont les contributions ont toujours été invisibles et surexploitées », ont commenté les porte-parole. Katia Bonté, coordinatrice de l’organisation haïtienne « Groupe de soutien aux rapatriés et aux réfugiés » (GARR), estime que les raisons qui poussent les familles haïtiennes à migrer vers la République dominicaine sont principalement économiques ou sécuritaires.
Ce n’est pas par choix, mais par « obligation », que des familles entières risquent chaque jour de traverser illégalement la frontière. Nombre d’entre elles ont perdu leur logement à cause des violences, et d’autres cherchent des moyens de subsistance qu’elles ne trouvent pas en Haïti.
Une fois installés en République dominicaine, souvent illégalement – le pays n’accordant plus de visas aux Haïtiens –, ils sont confrontés à un climat de terreur différent. Beaucoup ont émigré pour fuir la violence, mais à leur arrivée, ils ont été confrontés à une autre forme de violence. Il ne s’agit pas de la violence des gangs qui les a poussés à fuir et à brûler leurs maisons, mais plutôt de violence psychologique, d’humiliation et de discrimination fondée sur la couleur de peau.
Persécutions et violations des droits
Depuis que le gouvernement dominicain a décidé de mettre en œuvre sa politique d’« expulsion massive » d’immigrants illégaux en octobre 2024, les signalements de violations des droits humains se multiplient. Ces derniers mois, des migrants haïtiens ont été détenus dans la rue, au travail, à la sortie de l’école, à l’hôpital, voire à leur domicile la nuit.
Entassés dans des bus barrés, ils ont été immédiatement transférés à la frontière, sans droit de se défendre, sans pouvoir emporter leurs effets personnels ni prévenir leurs familles. On recense également des cas d’enfants expulsés sans représentant légal – plus de 400 en juin, selon un rapport de Garr – et de femmes enceintes ou venant d’accoucher par césarienne, que la police attend aux portes des hôpitaux pour les expulser avec leur nouveau-né dans les bras. Ou même sans.
Selon Bonté, cette persécution systématique peut avoir des conséquences indirectes et invisibles. « Les femmes enceintes, par exemple, ont peur d’aller à l’hôpital pour accoucher. En mai, nous avons recensé le cas d’une Haïtienne de 32 ans qui, par peur, a préféré accoucher à domicile et est décédée. Ce cas nous a été signalé, mais il y en a sûrement beaucoup d’autres. D’autant plus que les femmes ne sont pas les seules à devoir se rendre à l’hôpital. » « D’autres personnes peuvent aussi être malades et avoir peur d’aller chez le médecin », explique-t-il, faisant référence à un protocole adopté en avril dernier par le gouvernement dominicain, qui entraîne l’expulsion immédiate de tout étranger en situation irrégulière se rendant dans un hôpital public.
Où aller ?
Depuis septembre 2022, il est impossible pour les citoyens haïtiens d’obtenir un visa, et la frontière est officiellement fermée, avec des mesures de sécurité renforcées. Malgré cela, le flux migratoire se poursuit sans relâche, et certains profitent de la situation. Les coyotes facturent jusqu’à 500 dollars par personne pour traverser la frontière, et les cas d’escroqueries, d’abus, de vols, voire d’enlèvements, sont fréquents.
Selon Katia Bonté, la politique d’expulsion du gouvernement dominicain alimente l’informalité : « Une personne rapatriée a dû laisser tous ses biens, sa famille et ses enfants en République dominicaine. La République… n’a d’autre idée en arrivant en Haïti que de revenir. Et celui qui les aide à rentrer, c’est le coyote. Chaque mois, entre 8 000 et 10 000 personnes sont interceptées par la police alors qu’elles tentent de traverser la frontière.
En 1999, les gouvernements d’Haïti et de la République dominicaine ont signé un protocole bilatéral sur les mécanismes de rapatriement, qui établissait une série de conditions et de garanties pour les citoyens des deux pays. Cependant, ni les accords bilatéraux ni les conventions internationales sur les migrations n’ont de pouvoir coercitif.
Malgré les multiples plaintes déposées auprès de l’ONU par des organisations de défense des droits humains, les ressources pour faire pression sur le gouvernement de Luis Abinader et exiger qu’il change sa politique sont rares.
C’est pourquoi le Garr et le Réseau continental pour les droits des migrants haïtiens (REDMA, acronyme en créole) estiment que le gouvernement haïtien doit lui-même apporter une solution à ses citoyens. À court terme, il est urgent de créer des structures d’accueil aux quatre postes frontaliers pour accueillir les migrants rapatriés.
« En réalité, il existe un Bureau national des migrations, présent à certains endroits, mais sa seule fonction est de compter les personnes et « Générer des données, mais ne pas offrir de services d’urgence, comme le logement, la nourriture, l’hygiène… » Souvent, c’est le même qui envoie les gens dans nos centres !, ironise Katia Bonté.
À long terme, mais non moins urgent, l’essentiel est que le gouvernement rétablisse des conditions de vie décentes, de sécurité, de travail et d’études pour la population. Sans ces garanties, comme l’affirme Bonté, les familles continueront de quitter le pays, non pas de leur plein gré, mais « par obligation ».
TeleSUR 20 Septembre 2025