Haïti glisse-t-elle vers d’autres « territoires perdus » dans le Sud ?
Dans une note confidentielle en date du 11 avril 2025, adressée au Directeur Général de la Police Nationale d’Haïti (PNH), le Directeur Départemental du Sud, Commissaire divisionnaire Daniel Compère, tire la sonnette d’alarme : le département du Sud est désormais sous la menace directe d’une offensive armée structurée, menée par une trentaine d’hommes lourdement équipés et opérant depuis les communes de Tiburon et Les Anglais.
Selon les renseignements collectés par les services de la police, cette cellule prévoit d’attaquer successivement plusieurs commissariats de la zone côtière, avec pour objectif final de prendre le contrôle de la prison civile des Cayes. Fait marquant : une partie de l’opération serait coordonnée depuis Pestel, sous la direction de Guy Philippe, ancien chef rebelle et figure controversée, récemment réapparu sur la scène nationale après avoir purgé une peine de prison aux États-Unis pour des délits liés au trafic de stupéfiants.
En position de faiblesse logistique, le commissaire signale un déficit inquiétant en effectifs, en armements et en munitions. Il appelle en urgence à un soutien opérationnel, notamment via le déploiement temporaire de l’unité UDMO basée à Gréssier, afin de renforcer la présence policière face à une menace dont l’organisation, le nombre et la stratégie inquiètent.
Cette alerte survient dans un contexte national marqué par la perte progressive de contrôle de l’État central sur plusieurs territoires du pays, notamment dans le Centre, l’Artibonite, et une large portion de la capitale. Le Sud, longtemps perçu comme une zone tampon relativement épargnée par l’expansion des gangs, semble à son tour basculer.
Le nom de Guy Philippe dans ce dossier fait craindre un tournant politique dans les dynamiques sécuritaires en cours. Ancien leader de l’insurrection armée contre Jean-Bertrand Aristide en 2004, il incarne un type de menace hybride : à la fois militaire, populiste et symbolique. Sa possible implication dans une tentative de déstabilisation à grande échelle alimente les inquiétudes sur un retour à des formes de guerre asymétrique entre groupes armés et institutions républicaines.
À l’heure où le Sud est ciblé, faut-il désormais parler d’une stratégie nationale de prise de contrôle territoriale par fragments ?
L’avertissement du commissaire Compère s’inscrit dans un tableau plus large de décomposition de l’autorité étatique. Toutefois, une question demeure en suspens : combien de territoires restent encore à reconquérir ? Et surtout, comment une telle note confidentielle a-t-elle pu se retrouver dans la presse et l’opinion publique ? Fuite involontaire, stratégie d’alerte ou opération politique ? Le Conseil Présidentiel de Transition chercherait-il à disqualifier Guy Philippe, figure redoutée, en dramatisant l’insécurité pour justifier un nouvel état d’exception ?