
Au moment où le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) vient de renoncer officiellement faute de consensus et de temps, à poursuivre le processus de la réforme constitutionnelle, pourtant très bien avancé après la remise officielle le 29 août dernier du texte définitif consacré à la nouvelle Constitution par le Comité de pilotage de la Conférence nationale, nous avons décidé de reprendre la chronique relative à cette saga électorale, notamment à la Constitution, au référendum et aux élections générales. Trois points figuraient dans la feuille de route du CPT lors de sa création par les parties prenantes suite à l’Accord du 3 avril 2024.
Lors de la rencontre tenue le 24 mars 2025 avec diverses organisations de la Société civile, outre l’évaluation des structures dans les différents Bureaux Référendaires Départementaux (BRD) et Bureaux Référendaires Communaux (BRC) et l’inventaire des matériels électoraux dont disposait en 2021 le CEP, Philippe Augustin, Directeur technique du Conseil Électoral Provisoire, avait apporté des chiffres précis.
Selon lui, le CEP de 2025 a besoin au moins de 15 000 kits de matériels non sensibles alors qu’il ne dispose, au moment de l’inventaire, que de 12 264 kits. Mais, l’information la plus intéressante au cours de cette rencontre à Pétion-Ville ce lundi 24 mars 2025 a été les détails apportés par le Directeur exécutif du CEP sur l’acquisition de 15 000 tablettes qui permettraient, selon lui, aux déplacés internes de pouvoir voter par inscription préalable sur place lors de ce référendum.
Il a aussi avancé sans donner le coût du contrat ni combien de temps elle restera en service en Haïti, qu’une compagnie aérienne a même déjà été engagée par le CEP afin d’assurer – sans rire – les déplacements vers le grand-Nord et le grand-Sud par le fait que les routes principales du pays sont contrôlées par les groupes armés.
Encore plus fort, ces fameux aéronefs étaient déjà en stationnement sur le territoire haïtien depuis…le 21 mars 2025. Ils n’attendaient que l’autorisation des autorités aéroportuaires haïtiennes – AAN, OFNAC – pour entreprendre leurs rotations entre les points septentrionaux et méridionaux d’Haïti. Par ailleurs, une autre rencontre s’est tenue le mardi 25 mars 2025, cette fois-ci avec les dirigeants des partis politiques, pour la plupart hostile à la réforme constitutionnelle, au référendum, aux élections générales avec le CPT, voire le CEP. En effet, ce mardi 25 mars, c’est à un vrai match de boxe qu’on avait assisté sinon à une sorte de discussions chaotiques en guise de débat.
Dès l’ouverture de la rencontre, les esprits se sont mis à chauffer. Les acteurs de tout bord se sont mis à défendre de manière radicale leur position ou leur point de vue sur le processus. Si certains acteurs politiques consentent qu’il faut aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’aux élections en passant par le référendum, même s’ils reconnaissent que la conjoncture ne s’y prête guère, ils soulignent, néanmoins, qu’on ne peut pas prolonger indéfiniment le règne du CPT au pouvoir.
C’est le cas du RDNP qui, par la voix de l’un de ses chefs de fil, Ardouin Esther Louis-Charles, a été très clair sur ce point en déclarant que : « il est hors de question de prolonger l’ère des gouvernements de transition. Le CEP et le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) doivent créer les conditions favorables à la tenue des élections et du référendum constitutionnel. » D’autres ne voient pas les choses de cette façon et rejettent systématiquement toute approche allant dans le sens d’une quelconque élection dans ce climat d’insécurité dont personne ne maitrise aucun levier. Tel est le cas de l’OPL (Organisation du Peuple en Lutte) pour qui la sécurité est primordiale. Selon Danio Siriac, un des représentants de ce parti politique : « Cette démarche arrive trop tard. L’insécurité galopante et les vagues de déplacés internes rendent toute élection impossible pour l’instant. Avant de parler d’élections, il faut d’abord rétablir un minimum de sécurité. »
Cette deuxième journée de débats tenue par le CEP n’a pas pu tenir les promesses que les organisateurs s’étaient faites : ouvrir des discussions avec l’ensemble des leaders et acteurs politiques dans le cadre du processus référendaire et des élections générales. Pourtant, malgré le quasi-échec de ces rencontres avec des protagonistes divers et variés, les autorités maintiennent le cap. Le Conseil Présidentiel de Transition et les dirigeants du CEP continuent d’avancer dans la même direction. D’une part, le 8 avril 2025, le CPT envoie l’un des ses membres, Smith Augustin, en mission officielle aux Etats-Unis, particulièrement à l’ONU à New York, à la recherche de fonds pour consolider la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) afin de donner confiance à la population, selon le discours officiel.
Puis, à Washington DC, en vue d’obtenir davantage de soutiens dans le cadre des prochaines élections, notamment le fameux référendum annoncé pour le 11 mai 2025 alors qu’on était déjà début avril. D’autre part, dans la capitale haïtienne, c’est le Président du CPT, Fritz Alphonse Jean, qui a tenu le mercredi 10 avril 2025 une séance de travail avec les 9 membres du CEP et le Secrétaire exécutif de l’organisme électoral. Pour l’occasion, le Coordonnateur du CPT était entouré de 5 Conseiller-Présidents : Edgard Leblanc Fils, ancien Président du CPT, Frinel Joseph, en charge des questions électorales au sein du CPT, Laurent Saint-Cyr, futur Coordonnateur ou Président du CPT, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles, deux des trois Conseiller-Présidents indexés avec Smith Augustin dans le scandale des 100 millions de gourdes de la Banque Nationale de Crédit.

Cette réunion au sommet était axée justement sur la sécurité et l’avancement institutionnel du processus référendaire, selon une source de la présidence haïtienne. Au cours de la rencontre, les Conseiller-Présidents ont réclamé des dirigeants du CEP une liste détaillée des besoins urgents dans tous les domaines, notamment en matière de sécurité et de logistiques. Une demande qui n’est pas tombée dans les oreilles d’un sourd, puisque, aussitôt, Patrick Saint-Hilaire, le Président du CEP (entretemps remplacé par Jacques Desrosiers) qui participait à la rencontre a immédiatement exposé les grandes lignes de ses besoins après avoir souligné ce que son institution a déjà accompli dans le cadre de ce processus. Au moment où le CPT et le CEP s’accordent pour avancer main dans la main dans les difficultés, du côté des oppositions politiques, de la Société civile et d’une partie des signataires de l’Accord du 3 avril 2024, ils sont toujours vent debout contre la tenue du référendum et des élections sous le régime du Collège présidentiel. Des voix critiques arrivent de toute part.
L’Accord de Montana, signataire de l’Accord du 3 avril 2024, qui ne soutient plus depuis quelques temps son représentant et Président du CPT, Fritz Alphonse Jean, souligne un contexte délétère et anxiogène expliquant l’infaisabilité de tout scrutin de quelque nature que ce soit. C’est Patrick Joseph, un membre influent de cette organisation, qui devait monter au créneau pour dénoncer l’entêtement et l’aveuglement des membres du CPT devant ce qu’il appelle une insécurité galopante. Idem pour le Collectif du 4 décembre, partie prenante de l’Accord du 3 avril 2024, critiquant l’obstination des autorités à « Engager un processus référendaire et électoral précipité dans un contexte totalement défavorable » rapporte le journal Le National dans son édition datée du 12 avril 2025. Le porte-parole de ce Collectif, Jean Robert Arguant, n’y va pas par quatre chemins.
Il déclare que : « Les Conseiller-Présidents ont failli à leur mission. Ils doivent démissionner pour céder la place à un Président issu de la Cour de cassation ». Vous parlez, nous travaillons, auraient signifié les autorités pour avancer dans leur projet constitutionnel et électoral. Le 18 avril 2025, le Conseil Electoral Provisoire passait à la vitesse supérieure, tout au moins passait à un autre échelon dans le processus. L’institution activait sa cellule de sécurité électorale conjointement avec les différentes branches de l’État dans ce domaine. En activant cette cellule, les autorités voulaient envoyer un message fort à la population en général et aux acteurs politiques en particulier démontrant leur détermination à conduire jusqu’au bout le projet, sauf imprévu.
Et imprévu il y en aura. En tout cas, ce 18 avril, une grande réunion dite stratégique a été organisée avec les plus hauts responsables de la sécurité du pays. Autour des 9 membres du CEP au complet plus le Directeur exécutif de l’institution électorale et divers responsables de cette Direction s’y rajoutaient les responsables de l’Unité de Sécurité du CEP, le Lieutenant-Général Derby Guerrier, Commandant en chef des Forces Armées d’Haïti (FADH), Plonquet Joseph, Inspecteur Général de la police nationale, Coordonnateur de la Cellule de Sécurité électorale au sein de la PNH, Godfrey Otunge le Commandant en chef kenyan de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti ( MMAS). L’on n’oubliera pas non plus un membre de la Direction générale du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique.
Au cours de cette réunion, plusieurs mesures ont été arrêtées et il a été décidé de la constitution d’une cellule conjointe de sécurité électorale composée de l’ensemble des structures concernées et que chaque semaine, une réunion similaire ait lieu avec les membres du CEP pour faire des mises à jour selon l’évolution de la situation sécuritaire du pays à l’approche des échéances. Avec l’activation de ce dernier levier, on aurait pu dire que tous les obstacles sont levés et que le référendum annoncé pour la date du 11 mai est sur la bonne voie. Le Conseil Electoral Provisoire a fait tout ce qui était dans son champ d’action. Il n’attendait que le feu vert du pouvoir Exécutif. Sauf que rien ne va pas se passer comme prévu. Jusqu’à la date du 30 avril 2025, aucun texte constitutionnel n’était parvenu au Conseil Présidentiel de Transition. Seules les rumeurs circulant dans la presse et sur les réseaux sociaux laissaient croire qu’un avant-Projet était en cours d’achèvement.
Sinon, rien d’officiel. Le Comité de pilotage de la Conférence Nationale semble bloqué dans un embouteillage quelque part sur la route de la rédaction de la nouvelle Constitution. Or, sans un texte définitif, point de référendum. Et pour cause. Il ne saurait avoir de campagne pour mobiliser la population sur un document qui n’existe pas encore. En outre, les autorités ne peuvent pas non plus appeler le peuple en ses comices encore moins publier un arrêté présidentiel relatif à cet appel. Bref, techniquement, le référendum est bloqué. Du coup, les membres du CEP ont fait le dos rond. Depuis le siège de l’institution à Pétion-Ville, ils gardent un silence qui en dit long sur leur déception. Car, ils ont fini par comprendre qu’à dix jours de la date butoir, il était plus que certain qu’aucun scrutin ne pourrait être organisé.
En clair, le référendum sur la Constitution n’aura pas lieu à la date prévue. Et peut-être jamais sous l’administration du CPT. Les Conseillers électoraux ont aussi réalisé que les beaux discours du Président du CPT d’alors, Leslie Voltaire, depuis Paris et ailleurs sur la tenue du référendum et les autres élections n’étaient, en fait, que du « pipo ». Situation identique pour le Président du Comité de pilotage de la Conférence Nationale, Enex Jean-Charles, et ses collègues en charge de la rédaction du texte constitutionnel qui devrait être soumis au référendum. Eux aussi étaient aux abonnés absents. Même attitude pour les 9 membres du Collège présidentiel, motus et bouche cousue. Pire, même au niveau du gouvernement, personne ne pipe mot non plus.
Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé est introuvable. Disparu du radar, le temps sans doute de trouver une parade et un autre discours adapté à la situation et à l’échec de son gouvernement qui n’a pas su comprendre qu’il était difficile, voire impossible, de porter cette affaire sur ce sentier parsemé d’embûches de toute sorte. Nous sommes déjà dans la première semaine du mois de mai 2025. Devant le silence de tous les acteurs concernés, parties prenantes de la réforme constitutionnelle, du référendum, de la mobilisation de la population, etc, le quotidien Le Nouvelliste a fini par contacter un membre du CEP pour avoir une idée de la situation comme c’est rapporté dans le journal le 5 mai 2025. Selon le journal, ce membre du CEP gardant l’anonymat a déclaré : « Actuellement, nous sommes dans la phase de déploiement d’une mission d’évaluation des Centres de vote et de formation pour les membres des BED et des BEC, la mission sera déployée ce week-end.
Il revient à l’Exécutif de créer le climat de sécurité dans le pays pour l’organisation des élections. Le CEP va faire tout ce qu’il peut faire à son niveau pour mettre la machine électorale en marche. Jusqu’à ce lundi 5, le CEP n’avait reçu aucune consigne de la part du CPT ni sur le référendum ni sur les élections de cette année. »
On attendait de le voir à Port-au-Prince, c’est finalement dans le Sud du pays, dans la ville des Cayes, que le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé est apparu le mercredi 7 mai 2025. Et là, surprise ! Le locataire de la Primature revient sur les élections sans dire un mot sur le référendum qui devrait être tenu dans quatre jours.
( À suivre)