
Haïti est toujours là où on ne l’attend pas. Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette boutade? Oui, ç’en est une. Tout le monde le dit de manière caricaturale. Dédain. Ironique. Pourtant, ils ont tort. Un jour, ceux qui le répètent à l’envi le prendront à leur dépens. En cette fin d’année 2025, les Haïtiens, à travers la « geste » historique accomplie à Willemstad, la capitale d’un ancien confetti hollandais dans les Caraïbes, ont démontré, qu’à un moment donné, il faudra compter avec eux. Et pour cause. Ils n’ont pas dit leur dernier mot. En Haïti, il n’y a pas de date plus significative, unitaire, consensuelle que celle du 18 novembre 1803. Jamais, il n’y a eu de débat ou de polémique entre historien haïtien ou étranger comme c’est le cas pour le lieu et la date exacts de l’indépendance d’Haïti. Certains parlent de Fort-Dauphin, aujourd’hui Fort-Liberté, comme lieu de Proclamation et avancent même les dates des 28, 29 novembre 1803 pour l’indépendance.
C’est dire combien le 18 novembre 1803 fait l’unanimité en Haïti et s’inscrit dans la mémoire collective de tout un peuple, toute une Nation. Et une fois encore, le peuple haïtien, à travers ces « héros » de Curaçao, voulait qu’on se souvienne et qu’on prenne acte de sa volonté, son courage et son héroïsme de réussir quand la patrie a besoin de lui. En effet, le 18 novembre 2025, l’équipe nationale haïtienne de football, des Grenadiers en temps de paix, a écrit une nouvelle page de son histoire en se qualifiant pour la Coupe du Monde 2026 qui se déroulera aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Mais, cette qualification face au Nicaragua, certes un pays ami, est bien plus qu’un exploit sportif : elle est chargée de symboles, de mémoire et c’est un message à ceux qui oublient l’histoire. Notre histoire d’Haïti.
50 ans après, les Grenadiers sont de retour !
La dernière participation d’Haïti à une Coupe du Monde de football remonte à 1974, en Allemagne. À l’époque, les Grenadiers avaient marqué les esprits en tenant tête à l’Italie de Dino Zoff. Le brillant Emmanuel Sanon (Manno Sanon), le héros de ce match de légende et historique pour les Haïtiens, avait marqué l’unique but haïtien. Plus de cinquante ans plus tard, une nouvelle génération de joueurs, tous ou presque tous, après une première partie de leur vie professionnelle marquée dans des clubs en Haïti, se sont retrouvés dans des clubs à l’étranger pour continuer leur carrière et sont donc souvent formés à l’extérieur.
Aujourd’hui, ces grands joueurs relancent l’espoir et rêvent de marquer une nouvelle fois l’exploit d’Emmanuel Sanon, Philipe Forbes, Wilner Nazaire, Pierre Bayonne, Henry Françillon, Ernst Jean-Joseph et toute cette génération de la sélection légendaire de Toup Pou Yo. Cette qualification est aussi l’occasion de mettre en lumière le talent des footballeurs haïtiens, parfois méconnus. Des joueurs évoluant en Amérique du Nord, en Europe, en Asie ou en Amérique latine ont su s’unir pour offrir à leur pays un moment de liesse collective, unique, comme on a pu le voir après le coup de sifflet final sur le score de 2 buts à zéro.
Une date qui parle aux haïtiens
Cette date du 18 novembre pour se qualifier à la plus grande épreuve sportive du monde, portée par notre bicolore – Bleu et Rouge – celui-là même cousu à l’Arcahaie quelques mois plus tôt, n’est pas une date comme les autres. Elle coïncide avec la dernière bataille victorieuse de Vertières, dans le Nord du pays, le 18 novembre 1803, où l’armée indigène menée par les généraux Jean-Jacques Dessalines, Henry Christophe, François Capoix dit Capois-La-Mort et tant d’autres ont vaincu la fameuse et redoutable Grande Armée de Napoléon. Cette victoire scella ainsi quelques semaines plus tard l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804 et donnant ainsi naissance au premier État noir libre du monde. Une victoire qui résonne encore aujourd’hui, comme un écho de la détermination d’un peuple à se battre contre l’adversité et le racisme endémique de certaines grandes puissances à l’égard de notre pays.
En se qualifiant un 18 novembre, les Grenadiers ont donc réveillé la mémoire collective et portent le récit d’un peuple qui a toujours lutté pour sa dignité et sa liberté. Le football, sport universel, prend ici tout son sens et devient dans ce contexte un vecteur de fierté nationale et de combativité.

Les Grenadiers, un héritage de guerriers
Le surnom de la sélection nationale haïtienne de football – les Grenadiers -, n’est pas choisi au hasard et tant mieux. Car ce nom rend hommage à « l’Armée indigène », celle qui a combattu pour l’indépendance d’Haïti et a remporté la Mère de toutes les batailles dans la lutte contre l’esclavagisme, l’obscurantisme et l’émancipation de l’Homme noir à travers la planète. C’est cette Armée de va-nu-pieds, habillée en guenille, qui a réellement permis à tous les Hommes et les Nègres en particulier, de naître libres et égaux en droit et finalement d’imposer l’abolition définitive de l’esclavage à Saint Domingue (Haïti) et aussi pour toute la race noire dans le monde. Cette « Der des Ders » des Grenadiers qui montèrent à l’assaut contre l’armée coloniale et esclavagiste du général Rochambeau a mis fin à plusieurs siècles de servitude. En 2025, ces footballeurs, Duckens Nazon, Johnny Placide, Frantzy Pierrot, Josué Casimir, Duke Lacroix, Bryan Labissière et tous les autres de la sélection, portent donc un héritage lourd de sens : celui de soldats modernes, luttant non plus avec des armes, mais avec un ballon rond, pour redonner à notre pays une place sur la scène internationale.
Football et musique, outils de cohésion populaire
Dans un pays traversé par des courants de division imposés par les nantis, le football et la musique qui sont en Haïti une sorte de « religion » ont toujours été un ciment social. Le carnaval et les matchs de la sélection nationale de foot, que ce soit avec les Grenadiers ou les Grenadières, sont des moments où les Haïtiens, où qu’ils soient, se retrouvent autour d’une même passion. La qualification pour le Mondial 2026 est donc bien plus qu’un succès sportif : c’est un symbole d’unité, de fraternité et d’égalité auquel le narratif résistance trouve toute sa place.
Qualification dans une crise politique et sécuritaire sans précédent
Ce n’est ni anodin ni inutile de souligner que la qualification d’Haïti intervient dans un contexte particulièrement complexe et que le mot difficile dans cette conjoncture n’a plus de sens. Le pays traverse, en effet, une crise politique et sécuritaire sans précédent dans son histoire d’Etat souverain, avec une recrudescence de la violence généralisée due à une instabilité politique chronique. Les autorités politiques en place depuis deux ans – Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Premier ministre et Gouvernement -, bénéficiaires de l’assassinat d’un Président de la République en 2021, semblent dépassées par la complexité de la situation. Surtout en créant des obstacles les empêchant d’apporter la moindre solution à une crise sociétale rendant inefficace et incompréhensible toute décision venue d’une gouvernance illégitime. Pourtant, malgré ces défis, la sélection nationale a su se mobiliser et rester motivée pour l’objectif fixé : se qualifier pour le Mondial de 2026.
Pour l’anecdote, savez-vous que l’entraîneur français, Sébastien Migné, n’a toujours pas pu fouler le sol haïtien depuis sa nomination. Oui, ce coach, natif de La Roche-sur-Yon, en Vendée, dans l’Ouest de la France à la tête des Grenadiers, n’a même pas pu se rendre en Haïti pour préparer ses joueurs. Il dirige une équipe dispersée aux quatre coins du monde et aucun match de qualification n’a été joué en Haïti pour des raisons d’insécurité, d’infrastructures quasi-inexistantes ou inadéquates. Cette triste réalité illustre à la fois la détermination des joueurs et les obstacles structurels auxquels le pays fait face.
La revanche des sans grades face à Donald Trump
Cette qualification pour la Coupe du Monde 2026, organisée en partie par les États-Unis, en cette période où le Président Donald Trump fait la chasse à ceux qu’il considère comme de moins que rien, prend une dimension toute particulière. Surtout qu’Haïti a été occupé, colonisé, pillé durant 29 longues années entre 1915 et 1934 par les Etats-Unis.
Une période marquée naturellement et logiquement par la violence, l’exploitation et l’humiliation. Cette occupation a laissé des traces profondes dans la psyché haïtienne et la République tout entière porte encore le stigmate, notamment sur le plan de politique intérieure, par sa prise en otage par Washington, soutenu pour sa part, par l’oligarchie économique locale. En se qualifiant pour ce Mondial sur le sol américain, les Haïtiens ont apporté symboliquement un démenti dans le récit officiel des trumpistes sur la vision qu’ils font des immigrés sur le sol américain. Le football, souvent perçu comme un miroir des tensions géopolitiques entre les nations – Europe et la Russie, Etats-Unis et la Chine, l’Inde et le Pakistan, Israël et le Monde arabo-persique -, offre ici une forme de réparation historique. Les Grenadiers haïtiens du XXIe siècle, en représentant notre pays sur la scène mondiale, rappellent au monde entier la capacité d’Haïti à se relever, malgré les épreuves que certaines puissances politiques lui imposent depuis le jour où ses fils, descendants d’esclaves et esclaves eux-mêmes, ont juré de vivre libre ou de mourir.
Enfin, il y a lieu d’intégrer la qualification d’Haïti pour la Coupe du Monde 2026 aux Etats-Unis, Canada et Mexique dans un événement dépassant largement le cadre sportif. Elle s’inscrit dans une histoire de lutte, de résistance et de fierté. En plus d’être qualifiés un 18 novembre, nos Grenadiers ont rappelé au monde entier que Haïti, malgré ses épreuves, ne fléchira point et demeurera debout pour continuer sa mission séculaire héritée des Aïeux de Vertières. Sur le terrain, les joueurs de la sélection haïtienne de football porteront, face aux géants comme le Brésil et l’Ecosse dans ce fameux Groupe C, les couleurs d’un pays qui a marqué l’histoire par sa quête de liberté et de courage. Pour nous Haïtiens, ce Mondial sera bien plus qu’une compétition sportive : ce sera une célébration de notre identité, de notre passé et de notre avenir.
WKF