CE QUE JE PENSE
FRANCKÉTIENNE AU CŒUR D’UN RÊVE GRANDIOSE
Par Pierre Robert Auguste
Patron des Presses Nationales en 2012 – (durée 7 mois) –, envahi par le rêve grandiose de réunir la vraie petite nation dans ce qu’elle recèle de quintessence, la nation spirituelle, le corps armuré des idées et pensées, les bataillons des écrivains, j’ai aventuré le SALON NATIONAL DU LIVRE avec mes collaborateurs Christophe Charles, Dominique Batraville, Briol Dorcé et le soutien extraordinaire de l’expertise mercatique de Madame Berthroneva Bourdeau et de sa petite équipe.
Tout au cours de la période préparatoire, je mesurais la dévotion enthousiaste de certains comme Yanick Lahens et Claude Pierre, la sincérité d’autres comme Max Chauvet qui déclarait concéder de collaborer à une œuvre qui pourrait ombrager son extraordinaire initiative annuelle de Livres en folie. Il ne saurait ne pas épauler l’initiative audacieuse de son ancien collaborateur que je fus et que je resterai dans l’âme à son quotidien, le plus ancien du pays, LE NOUVELLISTE.
Homme d’État, je cachais à tout le monde les hostilités de certains secteurs du gouvernement d’alors à cette initiative dont l’accueil ralliait l’opinion nationale, même si, au siège choisi, la ville de Jacmel, des graffitis commandités placardaient sur les murs de la ville comme des fresques hostiles : À bas le Salon National du Livre.
À notre arrivée, je souriais au milieu des inquiétudes et des peurs des invités des Presses Nationales, redoutant des agressions de certains meneurs populaires engagés aux manœuvres de boycottage. Sur le site d’accueil, les ouvriers ne parurent pas pressés, tandis que la veille, l’un de ces hommes de main croyait pouvoir venir intimider un natif de Raboteau qui sait allier la bravoure et le savoir-faire de circonstance. Le major Florexil, qui m’accompagnait et qui n’a jamais mis en congé sa vaillance militaire, a dû s’exalter à la vue de mon esprit dessalinien dans une ville du sud historique haïtien.
Cependant, les rencontres familières successives dans les milieux mondains et culturels nous ont élevés au sursum corda jacmélien, remarquable dans la gentillesse de Mme Rateau, directrice de l’office local du Tourisme, et de l’entregent de Mme veuve Jacques Khawly, dont le mari fut un ami et, comme moi, un ardent défenseur du développement régional.
De l’inauguration un peu retardée, dont une certaine presse s’apprêtait à annoncer le fiasco, à la soirée de révélation du nominé du Grand Prix National des Lettres, les Jacméliens intéressés défilaient entre les causeries, les conférences animées par des écrivains et les échanges avec ces derniers dans une atmosphère de convivialité intellectuelle inédite jusque-là.
Ce soir-là, recevant son prix après l’annonce faite par le poète et écrivain Christophe Charles, Franckétienne, saluant avec honneur l’idée en Haïti d’un Salon National du Livre et de la création du Grand Prix National des Lettres, a développé son éloquence à travers les méandres de l’histoire et de la littérature pour que l’art d’écrire soit toujours encouragé et reconnu. Il était au cœur d’un rêve grandiose.
Le rêve que je caressais de pouvoir créer l’habitude de permettre chaque année à un écrivain haïtien internationalement réputé de recevoir, au cours du Salon National du Livre, le Grand Prix National des Lettres doté d’une enveloppe d’un million de gourdes. Les Presses Nationales, n’ayant pu décaisser d’un coup la totalité, Franckétienne a dû trimer longtemps avant que Mario Dupuy n’intervienne en sa faveur pour encaisser la différence. Nous avons cette maudite habitude de maltraiter nos icônes.
Le salon national devait être suivi de plusieurs salons régionaux (10 au total), dont chacun porterait le nom d’un écrivain célèbre de son terroir et serait également agrémenté d’un prix.
Éjecté après le premier salon, l’idée s’est retrouvée enfouie dans la mesquinerie et l’incompréhension obscurantiste qui allait emporter les annexes des Presses Nationales qu’en sept mois j’avais pu installer, équipées de centres numériques, aux Gonaïves (Artibonite), au Cap-Haïtien (Nord), à Port-de-Paix (Nord-Ouest), aux Cayes (Sud), à Jacmel (Sud-Est). Fort-Liberté, Jérémie, Miragoâne et Hinche devaient pouvoir en disposer entre juin et décembre 2012.
Ainsi s’est éteinte une idée grandiose que je vois avec bonheur revivre à travers l’entrepreneuriat littéraire extraordinaire de C3 Éditions, menées brillamment par mon estimable et cocitadin Fred Brutus.
Comme, aujourd’hui 20 février, s’efface une grandeur intellectuelle haïtienne, Franckétienne : écrivain et peintre prolifique, comédien exceptionnel, musicien talentueux, compositeur des meilleurs boléros du groupe Les Ambassadeurs, professeur de l’esprit libertaire et inimitable maître du spiralisme.
Je souhaite que la mesquinerie ne lui enlève pas le droit qu’il mérite à des funérailles nationales et à un mois de célébration dédié à ses œuvres, qui doivent être expliquées aux générations montantes.
J’invite les Artibonitiens, comme moi, à se mettre ensemble pour aménager à sa mémoire un musée digne de ce nom à Ravine Sèche, section communale de Saint-Marc, où il est né le 12 avril 1938.
Heureux, Franckétienne, les morts en esprit !
Gonaïves, le 20 février 2025
Pierre Robert Auguste