Home Haiti 222 ans après la victoire d’Haïti à Vertières !

222 ans après la victoire d’Haïti à Vertières !

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La bataille de Vertières. Photo : Wikimedia Commons

Aujourd’hui, alors que l’arrogance impériale américaine menace tout le continent par sa puissance militaire, il est essentiel de se souvenir que les puissants peuples des Caraïbes ont maintes fois vaincu de puissantes armées impériales. La bataille de Vertières est un jalon historique occulté par l’historiographie hégémonique.

 

Cette année marque le 222e anniversaire de la bataille de Vertières. Elle eut lieu le 18 novembre, au sud du Cap, dans ce qui était alors Saint-Domingue. Lors de cette bataille, qui dura cinq heures, les troupes d’élite de Napoléon Bonaparte furent vaincues par des bataillons d’anciens esclaves commandés par Jean-Jacques Dessalines, qui consolidèrent l’indépendance de ce qui allait désormais s’appeler Ayti, ou Haïti.

Haïti est toujours évoquée dans les médias en lien avec le malheur : le pays le plus pauvre de l’hémisphère, la famine, le choléra, la violence. Ce dont on ne parle pas, ce sont les causes de la pauvreté, de la famine, de l’épidémie de choléra ou de la violence, conséquences de siècles de domination coloniale et néocoloniale. Actuellement, la situation est particulièrement grave, notamment dans la capitale, Port-au-Prince, et dans le département de l’Artibonite. En réalité, plusieurs bandes armées ont pris le contrôle de vastes zones, déclenchant une violence sans précédent qui a fait plus de 5 000 morts cette année et provoqué le déplacement interne de plus de 1,3 million d’Haïtiens vers des régions plus sûres du pays. La situation des enfants est particulièrement alarmante. Selon les rapports de l’UNICEF, 680 000 enfants ont été déplacés, 300 000 ont interrompu leur scolarité, leurs écoles ayant été détruites ou transformées en abris, et 288 544 enfants de moins de 5 ans sont menacés de malnutrition. Il est important de noter que le déplacement expose les enfants à une grande vulnérabilité, notamment à des risques sanitaires liés au manque d’hygiène dans les abris, à la malnutrition, voire au recrutement forcé par des bandes armées. Un rapport récent de Catherine Russell, directrice générale de l’UNICEF, estime que 30 à 50 % des membres de ces bandes sont mineurs et sont utilisés comme messagers, employés de cuisine, esclaves sexuels, voire contraints de participer à des actes de violence armée.

Il est important de noter que ces bandes ont détruit des infrastructures vitales, dont 38 hôpitaux, six universités et des bibliothèques, et ont contraint plus de 1 000 écoles à fermer leurs portes. Tout cela, et la démobilisation de la population qui en résulte, remet en question l’idée qu’il s’agisse simplement de conflits entre bandes criminelles. Ces bandes reçoivent régulièrement des armes et des munitions des États-Unis, ce qui indique un projet visant à paralyser le fonctionnement de la nation. Mais cette attaque contre Haïti n’est pas récente. Haïti est assiégée par les puissances impériales depuis son indépendance.

Jean-Jacques Dessalines

L’île d’Haïti fut envahie par Christophe Colomb lors de son premier voyage en 1492, établissant ainsi le premier établissement européen en Amérique. L’île entière devint une colonie de l’empire castillan, puis espagnol. En 1697, le traité de Ryswick entre la France et l’Espagne céda la partie occidentale de l’île à la France, qui prit alors le nom de Saint-Domingue. L’île regorgeait de ressources, et les Européens, en manque de main-d’œuvre, y firent venir des millions d’Africains, enlevés et réduits en esclavage pour travailler dans les mines, les plantations et les domaines. On peut affirmer sans exagérer que cette richesse constitua le fondement économique du développement de la France impériale. En 1789, année de la prise de la Bastille à Paris, la colonie comptait 793 plantations de canne à sucre, 3 150 plantations d’indigo, 3 117 plantations de café, 789 unités de production de coton et 182 distilleries de rhum. Avec une population de 40 000 Blancs et 28 000 Mulâtres libres, la production était assurée par le travail forcé de 452 000 Africains et leurs descendants, qui représentaient 86 % de la population totale.

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Le contrôle de la colonie fut marqué par une cruauté inouïe. Des rébellions éclatèrent dès le début de la conquête du territoire. Je tiens à souligner ici la cérémonie de Boïs Caïman en 1791, lorsque Dutty Boukman et la prêtresse vaudou Cécile Fatiman parvinrent à rassembler 200 esclaves et, dans un cri solennel, jurèrent de se battre pour leur liberté. La même année, un soulèvement massif éclata, marqué par l’incendie des plantations et le massacre des colons. Toussaint Louverture réussit à organiser une armée et à vaincre les occupants, proclamant la liberté pour tous. Louverture avait placé sa confiance dans la France révolutionnaire et ses idéaux de Liberté, Égalité, Fraternité, mais cette même révolution le trahit, et il finit par mourir dans une prison glaciale de l’est de la France.

La France décida d’envoyer un corps expéditionnaire de 84 navires et 25 000 soldats pour reprendre le contrôle de sa colonie la plus précieuse et en confia le commandement à un personnage sinistre : Donatien Marie Joseph de Vimeur, comte de Rochambeau. Dans son roman Estela, Émeric Bergeaud le décrit ainsi : « sa petite taille, ses traits anguleux, son regard hautain, autant d’éléments qui complètent le portrait approximatif de sa laideur morale.» Rochambeau commit des atrocités dès son arrivée à Saint-Domingue, notamment en utilisant des chiens dressés pour la chasse. Dans une lettre à son commandant Ramel, datée du 6 mai 1803, il écrit : « Je vous envoie, mon cher commandant, un détachement de 50 hommes de la Garde nationale du Cap, commandé par M. Bari ; ils amènent 28 mastiffs. Ces renforts vous permettront également de mener à bien vos opérations. Je tiens à préciser que vous ne recevrez aucune ration ni remboursement pour les frais de nourriture de ces chiens. Vous devrez leur donner du noir à manger. »

Rochambeau n’avait pas prévu la détermination d’un peuple luttant pour sa liberté. LOuverture ne mourut pas en vain, et les drapeaux qu’il brandissait furent repris par Jean-Jacques Dessalines, qui mena la Résistance et vainquit héroïquement la plus puissante armée d’Europe à Vertières il y a 222 ans.

Dessalines accéda au pouvoir en tant qu’empereur, comme Napoléon Bonaparte le ferait la même année. Mais contrairement à Napoléon, Dessalines promut une constitution pour une nation d’hommes et de femmes libres. L’esclavage fut aboli à jamais, la liberté de culte instituée et le divorce autorisé. De même, le respect de l’autodétermination des peuples fut établi, sans que cela n’empêche Dessalines de soutenir des révolutionnaires tels que Francisco de Miranda ou, plus tard, Alexandre Pétion et Simón Bolívar. Ce dernier obtint non seulement des navires, des armes, des munitions et des combattants, mais aussi un projet politique issu de la révolution haïtienne. De là, l’Armée de libération devint une armée populaire qui mettrait fin à la domination coloniale espagnole des côtes caraïbes aux hauts plateaux andins. Haïti fut un phare sur le continent.

Aujourd’hui, alors que l’arrogance impériale américaine menace l’ensemble du continent par sa puissance militaire, il est essentiel de se souvenir que les puissantes armées impériales ont été vaincues à maintes reprises par les peuples caribéens. La bataille de Vertières est un jalon historique occulté par l’historiographie hégémonique. L’exploit haïtien mérite d’être étudié, analysé et compris. Haïti, phare d’espoir, cède aujourd’hui aux intérêts du Nord global, mais porte en elle le germe de la rébellion, à l’image des peuples caribéens qui en ont hérité. Aujourd’hui, face à la menace militaire américaine dans les Caraïbes, nous nous souvenons de la bataille de Vertières et de ce dont les peuples sont capables lorsqu’ils sont déterminés à forger leur propre destin.

 

Guillermo R. Barreto est vénézuélien et titulaire d’un doctorat en sciences (Université d’Oxford). Professeur émérite à l’Université Simón Bolívar (Venezuela). Il a été vice-ministre des Sciences et de la Technologie, président du Fonds national pour la science et la technologie et ministre de l’Écosocialisme et de l’Eau (République bolivarienne du Venezuela). Il est actuellement chercheur à l’Institut tricontinental de recherches sociales et collaborateur invité au Centre d’étude des transformations sociales (IVIC).

Globetrotter 21 novembre 2025

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