Introduction
Le 9 janvier 2025, la police judiciaire, dans le cadre d’une filature, a procédé, dans la zone de Thomassin, commune de Pétion-Ville, à l’interpellation de l’ex Directrice du Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS), la dame Magalie HABITANT et de son chauffeur Lenès JEAN PHILIPPE pour leur affiliation présumée à la coalition criminelle dénommée « Viv Ansanm « ;
Les prévenus n’ont pas été déférés par devant leur juge naturel dans le délai légal de quarante-huit heures et ont été depuis plus de trois mois gardés à vue à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) ;
Le Parquet de Port-au-Prince et la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) n’ont pas communiqué sur le dossier, ce qui a alimenté des rumeurs de toute sorte autour du traitement du dossier ;
Plusieurs autres personnes ont été par la suite interpellées en lien avec le dossier. Il s’agit de : Prophane VICTOR, Joseph SAGET alias Djo, Elionor DEVALLON, Pierre Paul BALAN, Peterson AUGUSTIN, Jensen Ghandi VICTOR, Eder VICTOR, Claudel VICTOR, Jacquelin GLAUDE, Peterson FELIX et Evens MONNIER ;
La qualité des personnalités interpellées, la gravité des faits reprochés, le temps infiniment long qu’a pris la DCPJ pour transférer les prévenus et le dossier à la justice ont créé une attente légitime de la population pour l’évolution de cette affaire au niveau de la justice ;
C’est donc dans cette attente que le 10 avril 2025 la DCPJ a déféré au parquet de Port-au-Prince les nommés Magalie HABITANT, Prophane VICTOR, Lenès JEAN PHILIPPE, Elionor DEVALLON, Pierre Paul BALAN, Peterson AUGUSTIN, Jensen Ghandi VICTOR, Eder VICTOR, Joseph SAGET alias Djo, Claudel VICTOR, Wadner Josapha JOSEPH, Lucson ELAN, Joham, Géraldy Elpinor, Fortunel Edouard, Jean Aimé, Delva Pilota, Rolin Delva, Jean Philippe, Dèdè et Ansy ainsi connus et consorts pour des faits de Complicité d’assassinat, tentatives d’assassinat, vol à main armée, menaces de mort, incendies criminels, enlèvements et séquestrations contre rançon, détention et port illégaux d’arme à feu et association de malfaiteurs ;
La DCPJ souhaite, en outre, que des mandats soient décernés par les autorités judiciaires compétentes à l’encontre des nommés Wadner Josapha JOSEPH, Lucson ELAN, Jimmy CHERIZIER alias Barbecue, Kempès SANON, Ezéchiel ALEXANDRE, Renel DESTINA alias Ti Lapli, Vitelhomme INNOCENT, Claudy CELESTIN alias Chen Mechan, Yvelt CELESTIN alias Ti Zo, Stevenson ALBERT alias Jouma, Mathias SAINTIL, Jean Gardy, Joham Géraldy Elpinor, Fortunel Edouard, Jean Aimé, Delva Pilota, Rolin Delva, Jean Philippe, Dèdè et Ansy ainsi connus, pour leur implication présumée dans les actes répréhensibles ci-dessus mentionnés ;
L’attente de la population pour le traitement de ce dossier est grande compte tenu de l’impunité dont jouissent les auteurs des nombreux actes de criminalité qui endeuillent la population haïtienne et les nombreux massacres et crimes de masse reprochés à la coalition « Viv Ansanm ».
Que peut-on dire de ce dossier à ce stade de la procédure ?
Un rapport de police, ce n’est pas une ordonnance d’un juge d’instruction, encore moins un jugement d’un tribunal. Il peut comporter des faiblesses, mais il doit obéir à des critères spécifiques de clarté, de précision, de concision, de cohérence et de pertinence. C’est à la lumière de cette grille d’analyse que nous allons tenter d’analyser le caractère sérieux du rapport de la DCPJ avant de relever quelques-unes de ses faiblesses dans le souci d’être utile à l’œuvre de justice que le peuple haïtien appelle de ses vœux.
II. Faits Pertinents
Dans le cadre de ce rapport d’analyse nous allons présenter comme faits pertinents tous les faits présentés dans le rapport de la DCPJ et qui sont susceptibles d’engager une poursuite criminelle, tout ce qui peut être établi par des moyens de preuve ou qui peut être considéré comme un indice suffisant en écartant les allégations c’est-à-dire tout ce qui relève de la fantaisie, de l’interprétation ou de la déduction des enquêteurs.
La liste non exhaustive de faits pertinents présentés par la DCPJ dans son rapport sont les suivants : 1- Magalie HABITANT confirme qu’elle entretient de très bonnes relations avec la quasi-totalité des chefs de gangs de la région métropolitaine. Ceci est confirmé par des appels téléphoniques relevés dans ses numéros de téléphone ;
Des messages WhatsApp entre Magalie Habitant et des chefs de gang dont le nommé Kempès pour achat de munitions en grande quantité sont révélés en sa présence et de celle de ses avocats ;
Kempès lui a réclamé vingt (20) caisses de cartouches de différents calibres qu’elle peut trouver par le biais de Prophane VICTOR (ancien député et ancien directeur de la douane de Belladère). Magalie lui donne le montant qu’il doit verser pour l’achat des vingt caisses de cartouche, soit soixante-dix mille dollars ;
Elle a des conversations où elle est impliquée dans des transactions de vente de véhicules ou de marchandises volés pour les gangs ;
Elle reconnait avoir fait des transferts d’argent par mon cash pour les gangs à travers son chauffeur Lenès JEAN PHILIPPE ;
Elle a entrepris des démarches auprès du directeur de la Caisse d’Assistance Sociale (CAS) pour avoir de l’argent pour Jimmy Chérizier ; et l’argent a été versé par le Directeur de la CAS Elionor DEVALLON ; 7- Magalie a un message WhatsApp avec l’ex-député Prophane Victor pour l’achat de munitions pour Kempès ;
Magalie HABITANT, sur demande du feu le président Jovenel MOISE, est intervenu auprès des chefs de gang pour faire libérer contre rançon les dominicains enlevés à Port-au-Prince en 2021 ;
Elle a versé un Million de gourdes aux gangs pour cette libération ;
Les policiers détachés avec le directeur de la CAS sont en possession d’armes illégales dont ils ne peuvent justifier la provenance ; Ils sont réputés être membres d’un gang opérant sous la direction de Ezéchiel ALEXANDRE ;
Magalie HABITANT reconnait qu’elle joue souvent le rôle d’intermédiaire pour un homme d’affaires avec les chefs de gang quand les camions de marchandises de cet homme d’affaires sont détournés par les gangs. Cet homme d’affaires dont l’enquête n’a pas révélé le nom a offert un véhicule Toyota Land cruiser blindée de niveau 6 au chef de gang de Canaan Jeff Larose connu sous le sobriquet de Jeff Gwo lwa ;
Elionor DEVALLON reconnait être en contact avec plusieurs chefs de gang de la région Métropolitaine dont les noms sont enregistrés sur son téléphone portable depuis 2015 parce qu’il était candidat à la députation pour la deuxième circonscription de Port-au-Prince ;
Elionor DEVALLON, interrogé sur l’argent envoyé à Jimmy CHERIZIER alias BBQ, confirme que Magalie HABITANT lui avait demandé ce montant pour un « Gran frè » ;
Les talons de chèque imprimés par la Banque de la République d’Haïti (BRH) retrouvés dans le véhiculé du Directeur de la CAS révèlent que vingt-huit chèques sur cent trente émis par la CAS pour un montant total d’un Million deux cent quatre-vingt-dix-neuf mille sept cent vingt-neuf gourdes (1,299,729.00 gourdes) ont eu pour bénéficiaire Elionor DEVALLON lui-même ;
Ce fait attire l’attention de la FJKL pour deux raisons. Il s’agit d’argent destiné à des personnes vulnérables. Comment le Directeur peut s’octroyer de tels montants ou versés des montants conséquents à ses proches alors que des chèques aux montants insignifiants sont émis pour d’autres personnes. Dans ces talons de chèque certains bénéficiaires n’ont reçu que 1 500 gourdes chacun. C’est le cas, par exemple, d’Innocent Kerold, Terelus Gerard, Memenon Mickerlange, Antoine Wilner, Ponyon Myndes, Petit-Frere Felda… tandis que d’autres ont reçu des montants plus conséquents.
C’est le Cas de :
Luberisse James : 100,000.00 gourdes ; Pierre Yves : 100,000.00 gourdes Joseph Geraldine : 100,000.00 gourdes ; Jean Jeudy Dieuyel : 100,000.00 gourdes Geroges Katiana : 100,000.00 gourdes ; Paul Plairadieu : 100,000.00 gourdes ; Moussignac Yvioléne : 95,000.00 gourdes Pierre Marie Raymonde : 90,000.00 gourdes 16- L’analyse des messages WhatsApp des téléphones des policiers Peterson AUGUSTIN et Pierre Paul BALAN confirme que ces policiers sont des trafiquants d’armes et de munitions ; Il en est de même de l’Inspecteur Divisionnaire Menmnon Miguel, responsable adjoint du commissariat de Port-au-Prince qui est un trafiquant d’armes et de munitions, selon les déclarations faites par le policier Peterson Augustin.
Le policier Belly Ainsi Connu en détachement avec le Commissaire Divisionnaire Paul MENARD fait partie d’un groupe de policiers connus sous l’appellation de » TEAM CHACHA » est à la base de l’assassinat d’un policier affecté au corps Swat Team lors d’une bagarre dans la localité de Croix-Deprez ; Comment un policier peut être un ainsi connu dans un rapport d’enquête de la DCPJ ? Il devait être clairement identifié pour faciliter les poursuites pour l’assassinat de l’agent du Swat Team. Le nom du policier du Swat Team assassiné devait être figuré dans l’enquête aussi ; Ces manquements affaiblissent le rapport. III. faiblesses du rapport
Les faits auxquels les enquêteurs sont tenus d’accorder de l’importance sont des faits que l’enquête révèle de manière cohérente et qui sont susceptibles de permettre de retenir des indices contre les suspects ;
L’indice dans une enquête policière sont les traces que le suspect a laissées et qui sont essentielles à la résolution du crime ; l ’indice, s’il n’est pas une preuve, doit montrer la direction dans laquelle on doit chercher la preuve de l’infraction ;
L’indice n’est pas une allégation. Il doit se baser sur des objets, des faits, des signes susceptibles de révéler quelque chose.
Une allégation c’est quelque chose qu’on ne peut pas prouver. C’est une opinion, une déduction ou une interprétation.
Dans le dossier de Magalie HABITANT et consorts la DCPJ a présenté des allégations comme des faits. On peut en relever ici quelques-unes :
Les notes du Bureau de Renseignement Judiciaire (BRJ) sont versées dans le dossier comme des faits avérés sans aucun indice matériel, aucune vérification, aucun témoignage. On peut par exemple lire dans le rapport :
Le Bureau de Renseignements Judicaires (BRJ) a fait parvenir aux enquêteurs un rapport mentionnant les noms de Magalie HABITANT et Prophane VICTOR comme étant deux commanditaires privilégiés de la coalition criminelle dénommée « Viv Ansanm » ;
La note du BRJ présente Prophane VICTOR comme responsable de plusieurs cas d’assassinat dans la région de l’Artibonite notamment Makès BADIN, Donalson INNOCEN… ; Odema a déclaré que c’est Prophane VICTOR qui lui a donné des armes, etc.
Les notes du BRJ ne peuvent être versées dans un dossier criminel sans aucun moyen de vérifier leur bien fondé ; La BRJ doit documenter les informations qu’il collecte, collecter les indices, les éléments de preuve matériel, les témoignages aux fins de les soumettre, au besoin, à la justice. Les enquêteurs ont consulté le site des Nations-Unies où Prophane VICTOR est sanctionné pour son implication présumée dans des actes qui menacent la paix dans la région de l’Artibonite ;
Or, les rapports du comité d’experts des Nations Unies peuvent se baser même sur des déclarations véhiculées sur les réseaux sociaux. Les sanctions visent à porter les acteurs politiques à modifier leurs comportements en faveur du renforcement de l’État de droit. Une enquête policière doit présenter des faits plus sérieux pour priver un citoyen de sa liberté ;
La sanction des Nations-Unies en elle-même n’est pas suffisante pour priver un citoyen de sa liberté. Elle peut servir de base pour déclencher une enquête. Un juge d’instruction, après enquête, peut décider de priver un sanctionné de sa liberté. La loi n’accorde pas ce pouvoir aux officiers de police judiciaire. La DCPJ doit faire preuve de plus de respect des règles permettant de priver un citoyen de sa liberté.
Au cours du troisième interrogatoire de Magalie HABITANT l’enquêteur lui a posé une question venue de nulle part lui demandant quelle est sa motivation pour concocter avec la coalition « Viv Ansanm » pour propulser à la tête de la PNH le Directeur Central de la Police Administrative (DCPA), l’Inspecteur Général Alain AUGUSTE. Magalie HABITANT n’a pas confirmé qu’elle cherchait effectivement le support des gangs pour permettre à Alain AUGUSTE de prendre la direction de la PNH. Mais le Directeur Central de la Police Administrative fera l’objet de trois convocations à la DPCJ dans le cadre de cette affaire pour venir expliquer ses liens avec la coalition « Viv Ansanm ». Il ne répondra á aucune de ses convocations.
Remplacé à la DCPA son nom ne sera pas figuré dans la conclusion de l’enquête comme personne à interroger. Il est clair qu’il y a eu une tentative de manipulation de l’enquête en vue de nuire à la réputation de l’IG Alain AUGUSTE par le seul fait que son nom a été cité comme probable successeur de l’actuel DG Rameau NORMIL a la tête de la PNH. La possibilité pour la police judicaire de pouvoir faire de telles manipulations pour nuire à la réputation d’un fonctionnaire de l’État ou de n’importe quel citoyen est très grave. La manipulation des enquêtes criminelles à des fins de règlement de compte personnel, politiques ou autres affectent la crédibilité des enquêtes conduites par la PNH, le caractère professionnel et non partisan de la PNH et constitue une forme d’abus d’autorité que l’État doit prévenir.
Pendant que la DCPJ a adressé trois invitations au Directeur de la Police Administrative pour être interrogé sur le support présumé qu’il aurait bénéficié de « Viv Ansanm » pour prendre la tête de la PNH, aucune invitation n’a été adressée à l’homme d’affaires qui a offert à Jeff Canaan un véhiculé Toyota Land cruiser blindé, niveau 6 dont le coût s’élève à plus de deux cent cinquante mille dollars américains pour des faits de financement du terrorisme ; Même le nom de cet homme d’affaires est gardé secret par la DCPJ. Quel paradoxe !
Si Alain AUGUSTE s’était présenté à la DCPJ, il serait arrêté et voir sa carrière brisée uniquement en raison du fait que des enquêteurs auraient voulu, par excès de zèle, plaire à leur chef dont le pouvoir se trouverait supposément menacé ? de telles intrigues ne doivent pas être possibles au sein d’une institution chargée de faire respecter la loi. C’est la responsabilité du Conseil Supérieur de la Police Nationale d’Haïti (CSPN) d’y veiller.
Conclusion
Le dossier de Magalie HABITANT, malgré les faiblesses relevées, comporte des éléments pertinents autorisant une poursuite criminelle.
Le Parquet de Port-au-Prince, après audition des prévenus a décidé le lundi 14 avril 2025 de mettre en liberté trois des treize prévenus arrêtés dans le cadre de cette affaire. Il s’agit de : Jacquelin Glaude, Peterson Felix et Evens Monnier. Tous les autres sont renvoyés au cabinet d’instruction.
Le juge d’instruction qui sera saisi du dossier devra approfondir l’enquête dans le respect des droits des victimes, de la société et des inculpés.
La Fondasyon Je Klere (FJKL) suivra l’évolution de ce dossier jusqu’au procès.