Afrique du Sud : les inégalités raciales persistent, trente ans après l’apartheid
Trente ans après la fin officielle de l’apartheid, l’Afrique du Sud reste profondément marquée par de vastes inégalités socio-économiques entre ses groupes raciaux. Malgré les politiques de transformation comme le Black Economic Empowerment (BEE) et les réformes foncières engagées depuis 1994, la réalité économique du pays reste polarisée : les Blancs dominent encore la richesse, la propriété foncière et l’accès à une éducation de qualité, tandis que la majorité noire continue de subir les séquelles structurelles du passé.
La richesse : un écart abyssal
Selon les dernières données de Statistics South Africa et de la Banque mondiale, un ménage blanc possède en moyenne entre R3,6 et R4,5 millions de patrimoine net, tandis qu’un ménage noir africain détient à peine R80 000 à R150 000. Cela signifie que les ménages blancs disposent d’une richesse environ 30 à 40 fois supérieure à celle des ménages noirs.
Les ménages indiens/asiatiques se situent entre les deux, avec environ R600 000 à R900 000 de patrimoine net moyen, tandis que les métis (« Coloured ») atteignent entre R400 000 et R500 000.
Cette disparité s’étend au revenu mensuel médian, où les Blancs gagnent environ R24 000, contre R5 000 pour les Noirs africains. Ce déséquilibre structurel continue d’alimenter la précarité dans de nombreuses communautés majoritaires.
La terre : un héritage colonial encore intact
Le secteur foncier reste l’un des domaines les plus inégalitaires. En 1994, à la fin de l’apartheid, les Blancs possédaient environ 87 % des terres agricoles du pays. En 2024, malgré des efforts de redistribution, ils en détiennent encore entre 72 % et 76 %, selon les études gouvernementales.
Les Noirs africains possèdent seulement 4 % à 5 % des terres agricoles enregistrées, tandis que les métis en détiennent environ 12 % à 13 %. Une partie non négligeable des terres appartient à des entités anonymes (trusts, entreprises, État), ce qui complique l’analyse complète des propriétaires finaux.
Logement et accès à la propriété
L’accès au logement reflète également ces inégalités. Si une grande majorité de Blancs vivent dans des maisons privées avec titre foncier complet, de nombreux Noirs dépendent encore des logements sociaux ou informels. Les statistiques indiquent que plus de 60 % des ménages noirs vivent dans des maisons issues de programmes publics, alors que les Blancs bénéficient d’un meilleur accès au crédit immobilier et à la propriété privée.
Éducation : des écarts dès l’enfance
Le système éducatif sud-africain reste lui aussi marqué par la ségrégation historique. Moins de 20 % des jeunes noirs accèdent à l’université, contre plus de 60 % chez les Blancs. Le financement des écoles, les infrastructures et la qualité de l’enseignement diffèrent fortement entre les quartiers riches (souvent blancs) et les townships ou zones rurales.
Les écoles publiques noires sont souvent sous-financées, surpeuplées, et privées de ressources de base. Par conséquent, les enfants noirs partent avec un sérieux désavantage dès les premières années de scolarité.
Le paradoxe des politiques de transformation
Des politiques comme le BEE ou la discrimination positive ont permis l’émergence d’une classe moyenne et d’une élite noire. Toutefois, elles n’ont pas entraîné une transformation de masse. Les inégalités intra-raciales, notamment au sein de la population noire, sont également en hausse. Une minorité bénéficie de privilèges, pendant que la majorité reste marginalisée.
Un défi pour la cohésion nationale
L’Afrique du Sud fait face à un double défi : reconnaître l’ampleur persistante des injustices raciales tout en trouvant des solutions qui évitent la polarisation sociale et politique. La réforme agraire, l’éducation, l’emploi et l’accès à la propriété restent des domaines clés pour bâtir une société plus équitable.
Tant que les lignes de fracture héritées du passé ne seront pas corrigées en profondeur, l’Afrique du Sud continuera de porter le poids de ses fantômes, au détriment de son développement et de sa stabilité.