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Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue de Joël LÉON ! Un ouvrage pour comprendre l’impasse d’Haïti !

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J’ai reçu cet ouvrage juste avant les grandes vacances de cette année. Le colis est livré par Amazon. Je ne connais pas le nom de l’expéditeur. Curieux, je découvre un livre publié depuis l’année dernière. Quelqu’un, aux Etats-Unis, m’en avait parlé vaguement. De retour à Paris, j’ai totalement oublié de me le procurer. Quand j’ai vu le titre : Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue, je constate avec étonnement que l’auteur, Joël Léon, c’est quelqu’un que je connais bien et c’est aussi un acteur politique bien connu de la mouvance de gauche haïtienne. Rapidement, je survole son ouvrage et là, stupéfaction ! Je réalise que j’ai failli passer à côté d’un livre original, exceptionnel par son approche historiographique des crises politiques jalonnant l’espace haïtien.

« Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue », paru aux éditions Kiskeya Publishing CO, est un essai historique très ambitieux. Dans cet ouvrage, Joël Léon propose une analyse critique de l’évolution politique d’Haïti, depuis son indépendance en 1804 jusqu’à l’ère contemporaine, en s’arrêtant notamment sur la double présidence, à chaque fois inachevée, de Jean-Bertrand Aristide en 1991 et 2001. L’ouvrage, structuré en huit chapitres, passe en revue les moments charnières de l’histoire nationale, mettant en lumière comment Haïti a gaspillé des patriotes conséquents, des périodes uniques, voire des moments rares comme celui de son bicentenaire en  2004. L’auteur, mais aussi celui qui se considère acteur politique, se distingue dans ce livre par une approche originale.

En premier lieu, il responsabilise les acteurs sociopolitiques haïtiens de tout bord dans le naufrage économique et social du pays, avant d’évoquer le rôle de la Communauté internationale, en particulier celui de la France, dont l’imposition d’une dette de 150 millions de francs-or pour reconnaître l’indépendance d’Haïti. Un rançonnage financier qui a profondément marqué l’histoire du pays et contribué à l’effondrement de son économie dès sa création en tant qu’Etat. Joël Léon s’attache à démontrer que les échecs répétés d’Haïti ne sont pas seulement le fruit de contraintes externes, mais aussi le résultat de choix politiques internes, de divisions et d’une incapacité à saisir les opportunités historiques. D’où l’intitulé de son livre : Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue.

Cet essai historique s’inscrit ainsi dans une volonté de comprendre pourquoi, malgré des ressources humaines et naturelles certaines, Haïti peine à sortir d’un cycle de crises politiques, économiques et sociales à répétition. Avec 205 pages, il était évident que l’auteur ne puisse traiter tous les moments de chaos articulés par différents régimes couvrant deux siècles d’histoire. Néanmoins, la manière dont il a abordé la question sur des thématiques claires est à saluer. Huit chapitres. Huit rendez-vous manqués. Chacun faisant l’objet d’une analyse approfondie tirée d’une documentation très rigoureuse. Je ne peux que féliciter Joël Léon pour ce travail lui demandant du temps et de la rigueur intellectuelle.

En tant qu’acteur politique, l’auteur fait preuve d’une grande probité dans la mesure où il n’a point cherché à dédouaner les uns pour accabler les autres. Il suffit de lire les chapitres consacrés à quelques grandes figures emblématiques de cette histoire que j’appelle moi « Histoire tragique » analysées dans Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue pour saisir le sens de la démarche de l’auteur. Du Père Fondateur de la Nation, Jean-Jacques Dessalines au grand intellectuel, Anténor Firmin en passant par le Président progressiste Dumarsais Estimé et bien évidemment le dictateur Dr François Duvalier à l’historien Leslie François Manigat sans oublier le prêtre Jean-Bertrand Aristide, tous ont trouvé leur place dans l’étude de Joël Léon. Ces incontournables de l’histoire politique haïtienne en compagnie de tant d’autres, certes moins évidents pour les non-spécialistes, sont présentés par l’auteur comme les principaux « Rendez-Vous Manqués » de l’histoire nationale.

Des dirigeants, des acteurs qui, malgré leurs intentions ou leurs réalisations durant leur passage à la tête du pays ou leur activisme à une époque donnée, n’ont pas su ou pu concrétiser les rêves, les espoirs de stabilité, de développement et de démocratie portés par la population. Classées par ordre chronologique, ces politiques ou personnalités, selon Joël Léon, font partie de ces « Rendez-vous Manqués » qui, à l’arrivée, plongent Haïti dans ce chaos sans fin. Une construction intellectuelle qui le conduit à analyser le rôle et la participation de chacun des acteurs dans ce désastre historique sans précédent pour un peuple ayant préalablement conquis son indépendance à la pointe des baïonnettes. Une large partie est consacrée naturellement à la politique de Dessalines dans laquelle l’auteur pose la problématique de l’unité nationale et les divisions au sein de cette élite militaro-politique.

Des divisions encouragées par une grande partie de l’International fort hostile à la « Geste de 1804 » accomplie par les Nègres de Saint-Domingue et que l’assassinat de l’Empereur, en 1806, inaugura une période d’instabilité politique qui dura des décennies, causant ainsi la première grande occasion manquée. Tous les acteurs de premier plan de cette période charnière à l’avènement de l’Etat d’Haïti et la naissance du peuple haïtien, notamment les Alexandre Pétion, Henry Christophe, Jean-Pierre Boyer, etc, ont été passés au crible et leur rôle a été mis à jour sous la plume de ce militant politique sachant articuler le verbe et le stylo. Le XIXe et le XXe siècle haïtien ont été abordés par séquence par Joël Léon mettant en évidence l’apport d’autres dirigeants dont les rivalités et les politiques ont souvent privilégié des intérêts personnels ou régionaux au détriment de l’unité nationale.

L’auteur devait compléter ses travaux par une présentation articulée de la présidence de Dumarsais Estimé (1946-1950) et celle très éphémère de Leslie François Manigat (1988). Selon Joël Léon, ces deux présidences illustrent comment des projets de réforme ou de démocratie ont été sabotés par des coups d’État, des interventions étrangères ou des luttes de pouvoir internes. Mais, il n’en demeure pas moins, pour l’auteur, que le vrai « Rendez-vous Manqués » reste incontestablement celui du leader charismatique du Mouvement Lavalas des années 90-2000, Jean-Bertrand Aristide (JBA). Celui-ci, en effet, figure politique majeure de la fin du XXe siècle en Haïti et toujours vivant mais retiré de la politique active, incarne ou symbolise à lui seul, tous « Les Rendez-vous manqués » des hommes politiques avec Haïti. Son retour au pouvoir en 1994, après un premier coup d’État militaire en 1991, puis son second mandat 2001 et sa deuxième destitution en 2004 par l’oligarchie haïtienne et l’International sont analysés comme des occasions perdues de stabiliser Haïti et d’instaurer une démocratie durable.

Dans le 8e et ultime chapitre, l’auteur revient sur le sabotage et le boycott, justement par les élites du pays, de la célébration du bicentenaire de l’indépendance haïtienne en 2004. Moi qui ai consacré un ouvrage sur le bicentenaire de 1804, paru en France en 2005 intitulé : Haïti 1804-2004. Le Bicentenaire d’une Révolution oubliée, je ne peux m’empêcher de vous conseiller tout particulièrement la lecture de ce chapitre du livre de Joël Léon, notamment les pages 194 à 199. Les lecteurs pourront prendre la profondeur et juger le degré de responsabilité des élites haïtiennes, au-delà du boycott de 2004, dans le sabotage du Projet politique de Dessalines. Alors même que ce Projet aurait dû demeurer le cordon ombilical de tout Haïtien même après son assassinat deux siècles plus tard.

L’approche de Joël Léon dans Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue, est remarquable pour son courage et sa lucidité. Il mérite les félicitations et l’encouragement de la Communauté nationale. En effet, lorsqu’il place la responsabilité des échecs haïtiens sur les épaules des élites locales, l’auteur invite à une remise en question profonde des pratiques politiques et sociales en Haïti. Certes, certains pourraient le critiquer pour une vision peut-être trop centrée sur les individus au détriment d’une analyse structurelle des inégalités, de la dette historique ou des dynamiques géopolitiques qui ont pesé sur le pays. A mon avis, ce n’était ni le but ni le message qu’il entendait envoyer aux lecteurs, notamment à la jeunesse haïtienne.

Par ailleurs, Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue est un livre tout public. Il s’adresse aux enseignants, étudiants, chercheurs, historiens, journalistes politiques et pourquoi pas acteurs politiques actuels. Mais aussi à tout citoyen haïtien ou étranger souhaitant comprendre les racines de ce chaos haïtien qui se poursuit en 2025. L’ouvrage offre une synthèse accessible, tout en s’appuyant sur des sources historiques solides et des arguments irréfutables. Joël Léon propose dans son livre une lecture à la fois engagée et documentée. Il invite à repenser le passé pour mieux envisager l’avenir. En mettant en lumière les occasions perdues et les responsabilités internes, il ouvre la voie à une réflexion collective sur les conditions d’une véritable Refondation nationale, terme bêtement galvaudé par les dirigeants et politiciens haïtiens depuis des décennies. Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue est un ouvrage essentiel pour quiconque s’intéresse à l’histoire politique d’Haïti.

Joël LÉON, Les Rendez-vous Manqués. Et le chaos haïtien continue, éditions Kiskeya Publishing CO, Miami, 2024

WKF

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