
Toutes les quatre secondes, une vie humaine s’éteint sous le poids de la faim. Cette réalité accablante, révélée en 2022 par l’ONG « Action contre la Faim », illustrait l’ampleur du fléau de la malnutrition. En revanche, la FAO estime que seulement 267 milliards de dollars par an suffiraient pour atteindre l’objectif humanitaire de l’éradication de la faim à l’échelle mondiale. La persistance des inégalités et de la pauvreté ne réside pas dans l’absence de moyens, mais dans la volonté précaire des tenants politiques et économiques à enrayer le problème. Dans un rapport « mi-figue mi-raisin », le magazine Forbes a recensé en 2025 un nombre pléthorique de 3 028 milliardaires dans le monde, soit une hausse spectaculaire de 247 membres de cette élite de super-riches par rapport à 2024. Ces richissimes « souvent dépourvus d’humanité » – qui nagent dans une somptueuse opulence pendant que plusieurs millions d’humains meurent de la famine – engrangent à eux seuls une fortune de 16.1 trillions de dollars. Laquelle richesse représente 14% du PIB mondial estimé par le FMI à 113.8 trillions de dollars. D’une part, la liste des « vénérables » de la finance s’agrandit ; d’autre part, celle des vulnérables s’allonge. Cette tendance éloigne l’humanité à des années-lumière de la matérialisation des vœux de la justice sociale et de la prospérité partagée. Le rêve d’un monde juste et équitable passe inévitablement par le transfert de richesses des plus riches vers ceux qui en ont le plus besoin. À quoi sert une folle accumulation de richesse quand tant d’êtres humains meurent de faim, alors que ces fortunes pourraient anéantir les inégalités et la misère extrême ?
La Banque mondiale rapporte que près de 700 millions d’humains subsistent sous le seuil de la pauvreté extrême de 2,15 dollars par jour. L’Afrique subsaharienne concentre à elle seule plus de 60 % de cette population en situation d’extrême pauvreté. En Asie du Sud, malgré une baisse générale de la pauvreté, de profondes inégalités persistent, notamment en Inde et au Bangladesh. Dans l’Hémisphère occidental, Haïti se comporte comme la brebis galeuse, affichant des indicateurs inquiétants sur les plans sécuritaire, sanitaire et humanitaire.
À environ une heure de vol de la Première Puissance économique mondiale, Haïti croupit dans une misère abjecte où plus de la moitié de sa population vit dans la pénurie. L’absence d’infrastructures, le manque d’opportunités ainsi que l’accès limité à l’éducation, à la santé et à la protection sociale sont flagrants. Des mécanismes efficaces s’avèrent nécessaires pour changer ce sombre tableau. En plus du manque de moyens financiers, l’on ne saurait évidemment ignorer le fléau de la corruption au sommet de l’État. Ces deux pièges au développement d’Haïti requièrent la volonté du patron de l’Hémisphère qui doit definitivement cesser de jeter son dévolu sur des crapules politiques pour occuper les postes stratégiques du pays. Si les 902 milliardaires américains choisissaient, de concert avec le gouvernement américain, de mettre fin à la pauvreté dans cet hémisphère, les États-Unis gagneraient en grandeur et mériteraient enfin le titre de puissance phare de la région.
S’il est vrai que plus de richesse se crée chaque année, notamment grâce aux avancées technologiques, une distribution juste et équitable n’en a pas suivi. A contrario, les inégalités se creusent davantage entre les deux extrêmes de la distribution des ressources disponibles. En 2023 par exemple, les Nations Unies ont évalué à environ 2,33 milliards (près de 30% de la population mondiale) le nombre de personnes confrontées à une insécurité alimentaire modérée ou sévère. En 2024, plus de 295 millions de personnes dans 53 territoires du globe ont connu des niveaux de faim aigus, une augmentation de près de 14 millions de cette couche vulnérable par rapport à 2023. Au moment où les inégalités et la faim continuent de sévir avec rigueur, de nouveaux milliardaires ont émergé. Ce phénomène exacerbe les inégalités car les milliards supplémentaires sont empochés par cette clique d’ultrariches qui détenaient déjà une part très importante de la richesse mondiale.
Pouvoir et disparités alarmantes
Les inégalités ne résultent pas d’un ordre naturel, mais de choix politiques, institutionnels et sociaux qui structurent la répartition des richesses et du pouvoir (Piketty & Cantante, 2018). Tandis que les tenants de la justice sociale alertent sur une farouche disparité économique entre les pays et à l’intérieur des pays qui hypothèque l’harmonie et la paix sur la planète, le fossé des inégalités s’élargit. Dans les pays à revenu faible, la pauvreté et les inégalités s’accentuent, l’accès aux services de base demeure hors de portée de la majorité. Parallèlement aux conditions de vies précaires de ces populations, on observe l’ascension d’une élite privilégiée qui continue d’accumuler des richesses souvent sans fondement méritocratique. Face à l’attitude insouciante de cette élite dont la richesse repose dans multiples cas sur une exploitation abusive, il serait vain d’espérer la conscience morale des plus fortunés pour converger vers cet idéal humaniste d’une prospérité partagée.
Les méga-industries du Nord tirent en grande partie leurs matières premières d’une surexploitation des richesses naturelles des sociétés du Sud. Le Cobalt du Congo, input incontournable dans la technologie de pointe, est une preuve tangible de la prédation de ces ultrariches qui n’écartent pas les anciennes pratiques colonialistes. Des femmes et surtout des enfants qui devaient se retrouver sur les bancs de l’école y travaillent dans des conditions infrahumaines. L’urgence d’une redistribution équitable est le cadet du souci de ces milliardaires qui amassent des ressources sans nécessairement intégrer l’éthique des moyens dans leurs modèles de production. Sous leurs yeux, des malades n’accèdent pas aux soins de santé que leurs cas nécessitent. Pendant qu’ils multiplient leurs folles dépenses inutiles, des enfants trépassent à cause de la famine et n’ont pas accès à l’éducation, principal moteur de la mobilité sociale.
L’association du pouvoir oligopolistique et de l’influence politique étant un duplex toxique à la justice sociale, la lutte contre les extrêmes inégalités est loin de se gagner quand la politique est au service de l’oligarchie économique. Des mesures gouvernementales paraissent essentielles pour forcer le codéveloppement, la justice transnationale et enfin la concrétisation du vœu de la prospérité partagée. L’État étant détenteur du pouvoir d’exproprier, de redistribuer, voire du monopole de la violence légitime, la voie régalienne serait à explorer pour assurer la régulation du système de création et distribution de la richesse. Cependant, au grand dam de la raison, les ultrariches mettent leurs poids dans la balance pour influencer davantage les décisions politiques. La dynamique actuelle, pour le moins aux USA, d’une cohabitation entre les tenants politiques et les possédants économiques casse cet optimisme de faire du village mondial un lieu égalitaire, vivable pour tous.
La présence remarquée des grandes figures de la Silicon Valley à une investiture présidentielle au Bureau ovale traduit une tendance inquiétante : le pouvoir politique risque de s’aligner davantage sur les intérêts des élites économiques. Plusieurs critiques émettent le risque d’une augmentation des inégalités en raison de la prise de pouvoir des ultrariches. Il y avait déjà une forte influence dans les négociations des groupes industriels du Nord dont la richesse est notamment fondée sur les rentes foncières et l’exploitation (Stiglitz, 2015). Tant dans le secteur académique que dans la sphère des organisations internationales, des stratégies persuasives et coercitives doivent être envisagées pour véritablement juguler la pauvreté sur la planète.
La privation, un défi commun
La problématique de la faim ne cesse d’attirer l’attention des multiples agences des Nations Unies qui maintiennent avec véhémence le plaidoyer de l’éradication de la faim chronique dans le monde. En 2025, les 40 familles les plus riches de la planète sont détentrices de plus de richesse que les 50 % les plus pauvres de la population mondiale (Tippet, 2025). Ces dispersions impressionnantes interpellent un ensemble d’institutions, notamment Oxfam International et quelques économistes du développement qui y perçoivent une bombe à retardement. L’illustre Prix Nobel d’Économie de 2001, Joseph Stiglitz, stipule : « Le top 1 % des plus riches détiennent des maisons luxueuses, reçoivent une éducation de qualité et mènent des styles de vie prodigieux. Cependant, il y a une chose que l’argent ne semble pouvoir acheter : la compréhension que leur destin est lié à la manière dont vivent les autres 99 % ». Une menace d’exaspération mondiale de ce nombre massif de démunis se profile à l’horizon. Tant pour les riches que pour les pauvres, les inégalités socioéconomiques constituent un fléau contre lequel les institutions chargées de promouvoir le bien-être social doivent être constamment mobilisées.
Quelles stratégies appliquer pour faire bouger les lignes dans le sens d’un village mondial plus équitable ? Une approche efficace pour réduire le fossé consisterait à transférer une partie substantielle des ressources des plus riches vers les plus pauvres. L’organisation Oxfam appelle les gouvernements à taxer davantage les plus riches afin de réduire les inégalités et mettre fin à l’hégémonie d’une aristocratie de super-riches. À ce propos, plusieurs études dont Piketty (2020) et Stiglitz (2012) s’alignant sur la plaidoirie d’Oxfam International suggèrent que l’approche consistant à taxer la fortune des ultrariches contribuera à réduire les inégalités et à éradiquer la pauvreté dans le monde. Atkinson (2015) propose un ensemble de mesures dont des mécanismes de réduction du taux de chômage, des taxes sur l’héritage et le renforcement de la coopération institutionnelle entre les pays qui devraient profiter à tous. La convergence vers ce socialisme participatif perçu dans une meilleure redistribution de la richesse mondiale pourrait définitivement résoudre l’énigme des inégalités socioéconomiques.
Un autre paradigme propose d’aller plus loin en adoptant des mesures drastiques pour favoriser rapidement l’équité et l’inclusion économique. Ses tenants questionnent le bien-fondé de la possession de plusieurs milliards de dollars par certains individus pendant que l’éradication de la pauvreté demeure un vœu pieux. Imaginons un multimilliardaire détenant 100 milliards de dollars et qui décide d’en consacrer 80 milliards à subventionner des gouvernements pour s’attaquer à des enjeux majeurs tels que la malnutrition, la santé et l’éducation. Une telle initiative représenterait une contribution massive à la réduction de la pauvreté et des inégalités, tout en laissant à ce « bienfaiteur » les moyens suffisants pour assouvir ses potentiels désirs fous. Les vingt milliards garantiraient à ce super riche ainsi qu’à sa postérité un accès illimité à tous les biens et services dont ils pourraient rêver.
À juste titre, ceux qui remettent en question l’existence même des milliardaires se demanderaient encore : à quoi bon conserver 20 milliards de dollars ? Ne serait-il pas plus juste de répartir les ressources au service du bien-être de tous, plutôt que de permettre à une poignée de privilégiés d’en monopoliser l’essentiel ? Une nouvelle gouvernance mondiale, guidée par la primauté de la vie sur les richesses périssables, doit s’instaurer par l’entremise d’un régulateur investi du pouvoir de faire appliquer les principes de la justice sociale.
L’utopie du codéveloppement
L’atteinte du codéveloppement, un vœu similaire à celui de la prospérité partagée soulignée à l’encre forte dans les grandes lignes des missions des Nations Unies, requiert des transferts mutuels de ressources humaines et financières entre pays du Nord et ceux du Sud. Les adeptes de cette idéologie préconisent une société mondiale plus égalitaire à travers une restructuration de l’économie mondiale. Ils souhaitent que soit concrétisée la convergence économique entre pays avancés et sous-développés en proposant des instruments de redistribution des ressources disponibles. En réorientant une partie des richesses des plus aisés vers les plus démunis via des politiques d’équité et de redistribution, l’humanité progresserait vers la concrétisation de l’objectif d’éradication de la pauvreté, si cher aux Nations Unies. Cette vision du développement au-delà des frontières plaide pour une justice sociale transnationale à travers des mécanismes de restitution et de redistribution des richesses entre les pays (Piketty, 2020). Elle s’inscrit dans une perspective salvatrice qui vise à inciter les riches à davantage d’humanité en cédant une partie de leurs fortunes afin de rompre le cercle vicieux des inégalités et de contribuer à sauver des vies. Après tout, il n’y a rien de plus précieux pour de simples passagers éphémères de ce court voyage terrestre que de rendre les autres plus heureux.
Épaulant l’argument d’Oxfam International qui caresse l’idée de la fin des milliardaires dans le monde, les tenants du codéveloppement proposent de prélever des taxes sur la fortune des ultrariches. Une simulation révèle qu’un impôt annuel de seulement 5 % sur la richesse des super-riches générerait 805 milliards de dollars, soit trois fois le montant nécessaire pour éradiquer la faim dans le monde. La communauté internationale aurait pu réorienter ces ressources vers la mise en œuvre de projets à fort impact social, destinés à améliorer les conditions de vie des populations les plus vulnérables. Dans une approche plus globale, Oxfam proposait en 2023 l’instauration d’un impôt progressif sur la richesse, fixé à 2 % pour les millionnaires et à 5 % pour les milliardaires. Une telle mesure permettrait de dégager des fonds suffisants pour sortir l’ensemble de la population mondiale de la pauvreté. A fortiori, les mêmes niveaux de taxes appliqués en 2025 auraient produit des montants plus importants pour ainsi combler les besoins essentiels des plus défavorisés.
À ceux qui perçoivent cet idéal de développement porteur d’une vision d’un mieux-être comme une chimère, les esprits optimistes rappelleraient que les plus grandes innovations sont souvent nées d’utopies. À travers les lentilles du philosophe Paul Ricoeur, ce sont précisément les instruments créatifs qui peuvent orienter les politiques publiques et offrir des apports pertinents aux sciences sociales (Walraevens, 2023). Le progrès exige une remise en question constante du statu quo afin de favoriser des améliorations concrètes et significatives au sein de ce village global habité par huit milliards de voisins.
Possession démesurée, démence de la raison
Qu’il soit démuni ou nanti, un humain jouissant d’une espérance de vie à trois digits demeure, particulièrement dans la période contemporaine, une rare exception. Atteindre le dernier évènement du diagramme de Lexis (la mort) à un siècle n’est réservé qu’à une classe spéciale d’individus, les plus robustes. Les Saintes Écritures nous en préviennent : « Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans ; pour les plus robustes, à quatre-vingts ans… » – Psaume 90 :10. En général, peu importe nos facilités d’accès aux luxes, aux plaisirs et aux bonheurs de ce monde, nous rendrons l’âme avant de fêter notre centième anniversaire. Il n’y a donc aucune utilité à accumuler des sommes astronomiques sur des comptes individuels, alors que des centaines de millions de personnes meurent chaque année de privations. N’empêche de reconnaître l’esprit de génie qui habitait le fameux PDG d’Apple. Cependant, emporté par un cancer, le multimilliardaire Steve Jobs n’a même pas eu l’opportunité de franchir le cap de soixante ans. Ils sont légion les célébrités et super-riches qui n’ont même pas vécu un demi-siècle. Malheureusement, la majorité ont aussi loupé l’opportunité de marquer leurs noms en caractères gras dans l’éternité bienheureuse en servant une cause juste, celle de contribuer substantiellement à réduire les inégalités et à éradiquer la pauvreté.
Il est indéniable que de nombreuses institutions œuvrant pour l’émancipation économique et la lutte contre la pauvreté ont tiré parti de la générosité des milliardaires philanthropes. Toutefois, le but ne consiste pas à s’adonner à la philanthropie en partageant une portion du surplus, mais de reconnaître la nécessité de ne conserver que l’essentiel et de redistribuer le reste à ceux qui, dans la précarité, aspirent également à une existence digne. Par le biais de fondations dédiées à la promotion de la culture, l’éducation, la santé et d’autres secteurs porteurs, les ultrariches tels que Warren Buffett, Bill Gates ou Georges Soros contribuent de manière substantielle à soutenir des projets bénéficiant aux catégories les plus démunies.
Les milliards de dollars offerts généreusement par les multimilliardaires ont incontestablement permis de financer des projets d’envergure. Cependant, si la générosité des fondations soutenues par ces philanthropes mérite d’être saluée, il convient de reconnaître les limites de cette approche. La philanthropie, aussi utile soit-elle, reste incapable de maîtriser durablement la problématique de la pauvreté et des inégalités, car elle n’écarte pas l’impulsion de l’accumulation massive de richesse entre les mains des super-riches. Le système fiscal est potentiellement l’instrument le plus puissant pour la redistribution des revenus (Seelkopf & Lierse, 2017). Dans ce contexte, l’instauration d’un impôt substantiel sur la fortune des ultrariches apparaît comme une alternative plus efficace pour redistribuer durablement les ressources et soutenir les populations vulnérables.
Si la privation constitue un obstacle majeur à un niveau de vie standard en ce qu’elle limite l’accès aux services de base ainsi que l’espérance de vie à des niveaux très faibles, les richesses colossales dont disposent les ultrariches n’accroissent en rien leurs espérances de vie. L’expérience du périple humain suggère qu’il y aurait un certain seuil de richesse à partir duquel aucune valeur ajoutée n’est procurée au bonheur de l’être humain. Ainsi, fixer un plafond aux ressources accessibles aux plus riches pourrait constituer une solution conforme au critère de Pareto. Les montants ainsi collectés amélioreraient considérablement les conditions de vie des plus démunis sans pour autant altérer significativement le bien-être des ultrariches. Riddell et al. (2024) soutiennent qu’un monde plus égalitaire est envisageable si les gouvernements régulent efficacement le secteur privé et limitent le pouvoir des grandes entreprises. De nouvelles mesures fiscales sur la fortune des plus riches permettraient aux gouvernements d’opérer une redistribution plus équitable des richesses.
Privilégier l’essence sur l’apparence
La concentration d’une large proportion de la richesse mondiale entre les mains d’une élite restreinte d’ultrariches compromet sérieusement les principes de justice et d’équité. Tandis que les milliardaires continuent d’accroître leurs richesses, quelque quatre milliards de personnes vivent avec moins de 6,85 dollars par jour. Selon la Banque mondiale, celles-ci sont considérées au sens large comme des pauvres. Près d’un milliard vivent dans une plus grande précarité, dans des conditions de pauvreté absolue. À peine perceptible au niveau de la base de la pyramide de Maslow, cette catégorie vulnérable succombe souvent de la malnutrition. Pour ces nombreuses familles, l’accès à la nourriture est un luxe. Pourtant, dans une insouciance déconcertante, les ultrariches dépensent des sommes colossales dans des caprices futiles, gaspillant des milliards de dollars. Il y en a parmi eux qui s’illusionnent à l’idée d’une existence multi-planétaire alors que des millions d’individus continuent de subir des conditions de vie insoutenables sur Terre. Au lieu de penser à une probable résidence sur Mars, pourquoi les figures des technopoles du Nord n’investissent pas plutôt à faire de notre Terre un « paradis » pour tous ?
Le coût d’une croisière sous-marine ou d’un voyage spatial réservé aux ultrariches pourrait financer la construction de dizaines de campus universitaires ou d’hôpitaux modernes, illustrant ainsi le contraste saisissant entre dépenses ostentatoires et besoins sociaux fondamentaux. De nombreuses régions restent privées d’infrastructures sociales, affichant des taux d’analphabétisme alarmants ainsi que des niveaux tragiques de mortalité infantile et maternelle. Dans ces contextes fragiles, les enfants et les jeunes deviennent des proies faciles pour les groupes terroristes qui entretiennent les conflits et compromettent la paix au sein de notre village commun. Pourtant, à l’ère des technologies de l’information et de la communication, les barrières entre les peuples s’effacent progressivement. Le risque d’un effet de domino sur le système mondial d’une crise provoquée dans un pays Lambda est désormais plus imminent. Dès lors, le Nord ne saurait demeurer indifférent aux risques du Sud et réciproquement.
À défaut de la prise de conscience des ultrariches, qui paraît de plus en plus utopique, les tenants de la justice sociale ont raison de proposer de taxer la fortune des ultrariches pour réduire les inégalités. Ce mécanisme s’avère utile pour atteindre un équilibre sociétal avantageux pour tous. L’objectif ultime de cette vision idéale de la prospérité partagée consiste à assurer un développement équitable et durable entre les citoyens et les nations de la planète. Cet instrument favoriserait une meilleure redistribution de la richesse générée dans le monde, tout en rendant les ultrariches plus humains. Toutefois, cette approche fiscale qui nécessite un modèle de gouvernance prosociale s’avère de moins en moins opérationnelle dans un contexte de lobbying prolifique où les politiques sont de collusion avec les détenteurs économiques (Hardoon, 2015).
Si la taxation des ultrariches pourrait servir de levier pour assurer une meilleure distribution de la richesse mondiale, les plus fidèles au système capitaliste n’auraient pas tort d’évoquer un potentiel risque d’une convergence vers un système prosocialiste. Celui-ci serait susceptible de décourager l’esprit de créativité et d’innovation, au cœur du système capitaliste. Ce serait une limite à laquelle les tenants du codéveloppement et de la justice sociale devraient réfléchir. Ainsi, il faudrait analyser cette approche fiscale ciblant les richissimes à la lumière de l’esprit d’invention. À cet égard, d’autres formes d’incitation comme celle consistant à immortaliser un ultrariche en raison de ses productions et surtout pour ses retours à la société, pourraient être envisagées. Des reconnaissances magnanimes (doctorat honoris causa, …) auraient pu compenser pour ne pas freiner les intérêts des entrepreneurs et innovateurs à produire mieux et davantage.
Réduire les inégalités, éradiquer la pauvreté et combattre la faim constituent des objectifs nobles auxquels tous les humains, notamment les ultrariches, sont appelés à contribuer activement. L’une des voies les plus efficaces pour atteindre cet idéal humanitaire consiste à prélever une part de l’immense fortune des super-riches afin de répondre de manière substantielle aux besoins des plus démunis (Lawson, 2023). Dans ce village où cohabitent huit milliards de voisins, les plus riches doivent reconnaître qu’ils ont gros à gagner en renforçant la protection sociale et le bien-être collectif. Si les ultrariches orientaient leurs ressources colossales vers l’humanitaire, le périple terrestre serait incontestablement plus harmonieux.
Carly Dollin
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Références
- Atkinson, A. B. (2015). Inequality: What can be done? In Inequality. Harvard University Press.
- Forbes (2025). World’s Billionaires List. The Richest In 2025. Edited by Chase Peterson-Withorn with Grace Chung and Matt Durot
- Hardoon, D. (2015). Wealth: Having it all and wanting more. Oxfam International.
- Lawson, M. (2023). The super-rich elite must pay their fair share to fight global inequality. bmj, 380.
- Nations Unies – OMS, PAM, and UNICEF. « L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2023.
- Piketty, T. (2014). Capital in the twenty-first century. Harvard University Press.
- Piketty, T., & Cantante, F. (2018). Wealth, taxation and inequality. In Reducing Inequalities: A Challenge for the European Union? (pp. 225-239). Cham: Springer International Publishing.
- Riddell, R., Ahmed, N., Maitland, A., Lawson, M., & Taneja, A. (2024). Inequality Inc. How corporate power divides our world and the need for a new era of public action.
- Seelkopf, L., & Lierse, H. (2017). Taxation and inequality: how tax competition has changed the redistributive capacity of nation-states in the OECD. In Welfare state transformations and inequality in OECD countries (pp. 89-109). London: Palgrave Macmillan UK.
- Stiglitz, J. E. (2015). The origins of inequality, and policies to contain it. National tax journal, 68(2), 425-448.
- Stiglitz, J. E. (2012). The price of inequality: How today’s divided society endangers our future. WW Norton & Company.
- Tippet, B. (2025). Estimating the revenues and dynamics of a 2% annual wealth tax on The Sunday Times Rich List 1994-2025.
- Walraevens, B. (2023). Ideologies and Utopia: A Ricoeurian Reading of Thomas Piketty. Erasmus Journal for Philosophy and Economics, 16(1), 1-27.