Un jour, il se retrouve à la table de distribution des allumettes et ne peut pas se contenter de dénoncer l’incendie.
Le sujet n’est ni philosophique, ni accessoire. Il s’agit de mémoire politique, de responsabilité collective et d’un besoin de cohérence dans le discours civique. Face à la situation actuelle d’Haïti, marquée par l’expansion territoriale des gangs, l’effondrement des institutions et l’exode de milliers de familles, peut-on entendre, sans inquiétude, d’anciens ministres du régime Martelly s’ériger en donneurs de leçons, comme si leur passage au pouvoir n’avait laissé aucune trace, aucune ombre, aucune responsabilité ?
Les faits sont têtus. Le gouvernement de Michel Martelly – PHTK1 & PHTK2 -, dont plusieurs ministres sont aujourd’hui actifs sur la scène publique, a été un moment clé de la transformation silencieuse mais profonde de l’Etat haïtien. C’est une période où la frontière entre l’autorité publique et les forces parallèles s’est progressivement estompée. Plusieurs rapports d’organisations nationales et internationales, dont les Nations Unies, évoquent cette période comme celle de l’institutionnalisation du désordre, au cours de laquelle certains groupes armés ont été, sinon créés, du moins instrumentalisés à des fins politiques.
La solidarité gouvernementale prend, dans cette configuration, tout son sens. Les dérives de ce régime Tet Kale 1 et 2 ne peuvent être imputées à un seul individu ou à une autorité isolée. Un ministre, qu’il soit en charge de l’intérieur, de la planification, de la justice, de la communication ou des affaires sociales, fait partie intégrante d’une structure de gouvernance ayant conduit aujourd’hui Haiti au chaos et à l’insécurité. Accepter un poste au gouvernement sous Martelly, c’est partager ses orientations, ses décisions, ses silences, voire ses complaisances.
Aussi est-il permis de se demander si un ancien ministre de Michel Martelly, quel que soit son portefeuille, peut aujourd’hui prétendre incarner un citoyen modèle, libre de tout soupçon, et s’exprimer sur la situation actuelle sans reconnaître sa part directe de responsabilité dans l’architecture du désastre. La réponse ne peut être automatique, elle exige rigueur morale et lucidité historique. Car ce que vit Haïti aujourd’hui – quartiers livrés aux gangs, cadavres dans les rues, services publics démantelés, insécurité alimentaire – n’est pas le résultat d’une génération spontanée de violence. Elle s’inscrit dans un continuum où l’impunité a été légitimée, les institutions affaiblies et les armes disséminées comme instruments de contrôle territorial.
Se poser en arbitre moral dans un tel contexte, c’est ignorer les fondements mêmes de la responsabilité politique. Le citoyen modèle ne peut être celui qui a été l’acteur silencieux ou le complice d’un effondrement programmé. Il ne peut se contenter de dénoncer l’incendie quand, un jour, il s’est trouvé à la table où l’on distribuait les allumettes.
Le vrai courage politique, en Haïti comme ailleurs, passe d’abord par une parole de vérité : reconnaissance des erreurs, engagement clair en faveur de la justice, recul des ambitions opportunistes. Faute de cela, nous assistons au spectacle d’un cirque où les anciens ministres se recyclent en commentateurs, et où la mémoire courte devient une stratégie de survie politique.
cba