La soupe giraumon en Haïti : un symbole d’Indépendance entourée de traditions
par Dr. Noël Agelus
Cet article retrace l’origine historique de la soupe giraumon, un plat traditionnel Haïtien étroitement lié à la proclamation de l’indépendance du pays. Instituée par l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, cette soupe a été célébrée chaque année en tant que symbole de liberté et de fierté nationale. Les pratiques culinaires ancestrales associées à sa préparation, confèrent à ce plat une signification particulière perdurant jusqu’à nos jours.
Bref contexte
Selon le dictionnaire Le Robert, giraumon est une variété de courge d’Amérique. C’est en fait, un tubercule d’origine américaine au cœur jaune. Il est donc utilisé à la préparation du plat emblématique d’Haïti. Proclamée par Jean-Jacques Dessalines en souvenir de la célébration de l’indépendance en 1804. Cette soupe traditionnelle est associée le giraumon à des ingrédients locaux comme : la citrouille, la banane et l’igname, du vermicelle comme embellissement. Un plat historique et universellement reconnu aujourd’hui à l’échelle international en mettant en valeur la richesse et la valeur de la cuisine haïtienne.
Histoire de la soupe giraumon
Durant le temps de la colonisation, la soupe giraumon était un privilège strictement réservé aux maîtres blancs. Ce plat, en tant que symbole de richesse et de pouvoir de l’époque, était intentionnellement tenu hors de la portée des esclaves. Ils étaient donc pris pour de simples objets au service de leurs dominateurs. Même les esclaves les plus intelligents/doués ou ceux qui étaient utilisés à des fins domestiques, n’avaient pas le droit de goûter à cette nourriture, ni même d’en inhaler son odeur. En effet, la soupe giraumon était un marqueur qui séparait les maitres blancs aux esclaves. Cependant, la victoire de la révolution haïtienne en 1804, allait transformer la signification de ce plat prestigieux faisant la discrimination et l’injustice sociale. En l’adoptant comme repas emblématique de la première république noire, les Haïtiens accomplissaient un acte de réappropriation symbolique très solide. Ce choix était donc chargé de perception. Cela signifie : en transformant comme patrimoine immatériel ce qui leur avait été refusé, ces derniers affirmaient leur liberté qu’ils ont prise avec force et détermination. En fait, la soupe giraumon devenait plus qu’une simple nourriture. Elle incarnait donc la lutte pour (i) la dignité (ii) la victoire sur la violence et (iii) la fierté d’être le premier État noir indépendant des Amériques. En ce qui concerne les anciens esclaves, cette soupe leur était (i) une célébration de leur libération (ii) un rappel des souffrances qu’ils avaient endurées et (iii) un témoignage de leur résistance. Mais pour les anciens maîtres blancs, ils avaient perçu cette adoption comme étant un acte de rébellion contre l’ordre établi dans la colonie. IL faut noter que l’adoption de la soupe giraumon par les Haïtiens, est non seulement une revendication de leur droit à l’égalité, mais aussi leur volonté de repenser l’histoire. Fort de ces efforts humains et historiques, cette dernière reste et demeure un élément central de l’identité de tous les Haïtiens. Aujourd’hui, elle est donc inscrite sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité (UNESCO, 2021). Cette action montre encore à quel point notre tradition est prometteuse.
Une origine riche de traditions
Comme le mentionnons tantôt, la soupe giraumon, trouve ses origines dans l’acte fondateur de l’indépendance du pays. En effet, c’est l’Empereur Jean-Jacques Dessalines qui l’avait institué comme plat officiel du 1er janvier. Depuis lors, ce plat réconfortant est devenu bien plus qu’un simple repas. Cela dit, elle matérialise l’unité nationale, la transmission des valeurs d’un peuple et un lien fort avec les traditions laissées par les ancêtres. Des anciens témoignent la manière dont ils avaient l’habitude de la célébrer autrefois (Ernelus Desliens, 91 ans ; Pasteur Dalger Saint-Victor, 70 ans). Pour ainsi dire, le 1er janvier était un jour de partage et de convivialité où la soupe giraumon avait été partagée entre les voisins. Les enfants, quant à eux, sillonnaient les rues pour présenter leurs vœux aux aînés, à leurs parrains et marraines, et pour recevoir les cadeaux qui leur avaient été réservé. Quant aux ambiances, elles étaient animées par des bals et des kermesses, créant une atmosphère festive et joyeuse. En fait, les hommes bambocheurs ont dû travailler dur durant le mois de décembre pour avoir de l’argent dans leurs poches. Car, les femmes (dames) d’autrefois, etaient plus disposées à danser avec ceux qui pouvaient les amener au bar (nan ansyen tan, lè dam nan fi’n rale kèk won, li te konn mande kavalye a menen’l au bivè. se la yo te konn remake gran depansè yo). Malheureusement, ces traditions semblent s’affaiblir avec le temps. Plusieurs raisons l’expliques, à savoir : (i) la soupe giraumon est de moins en moins partagée entre les voisins (ii) les visites aux aînés et aux parrains et marraines se font très rarement, et (iii) les festivités ont perdu de leur éclat d’antan. Cette évolution, reflète les mutations de la société haïtienne, marquée par l’égoïsme et l’influence de cultures étrangères. Associé a la célèbre soupe, le 1er janvier revêt également une dimension spirituelle profonde. Car, le citoyen Ernelus, l’octogénaire, raconte que jadis, le jour du 1er janvier, des chefs de ménages-serviteurs avaient l’habitude de chevaucher de leurs esprits et de communiquer des messages destinés à leurs proches et des amis. Ces pratiques liées au vodou, témoignent donc de la richesse du patrimoine immatériel d’Haïti et de la place centrale qu’occupe la spiritualité dans la vie des Haïtiens.
Dr. Noël AGELUS., MDH., Ph.D