Sous l’occupation, les ports de Port-au-Prince, Cap-Haïtien et Jacmel furent placés sous la juridiction opérationnelle de receveurs américains, responsables de la perception et de l’allocation des recettes douanières
L’avènement de 1915 dans le contexte haïtien représente une bifurcation critique dans la trajectoire institutionnelle et économique de la jeune république. À la suite de l’assassinat du président Vilbrun Guillaume Sam en juillet 1915, l’intervention militaire américaine instaura un contrôle effectif sur les leviers fiscaux nationaux, au premier rang desquels les douanes. Cette subordination institutionnelle illustre la transformation d’un instrument de souveraineté fiscale en vecteur de domination étrangère.
Le régime douanier haïtien, structuré depuis la fin du XIXᵉ siècle pour garantir la perception des recettes de l’État, fut progressivement capté par des acteurs extérieurs. Dès 1905, la National City Bank of New York avait exercé une influence notable sur l’affectation des recettes douanières, principalement pour le service de la dette extérieure. L’intervention de 1915, cependant, matérialisa cette hégémonie dans une configuration quasi-coloniale : les ports et points de collecte furent administrés par des agents américains, investis d’un mandat de perception et de redistribution des recettes selon les impératifs des créanciers internationaux.
Le traité bilatéral de 1915 formalisa juridiquement cette mainmise. L’institution du Receveur général américain, investi d’une autorité quasi souveraine sur les ressources douanières, établit un mécanisme de priorité de remboursement de la dette, limitant substantiellement l’autonomie fiscale et budgétaire de l’État haïtien. Cette configuration engage une réflexion sur la notion de souveraineté économique, dans laquelle la perception des revenus publics, pivot de l’autonomie étatique, devient instrumentalisée par des puissances extérieures.
L’effet concomitant de cette dépossession institutionnelle fut multidimensionnel. D’une part, il réduisit la capacité de l’État à financer ses fonctions régaliennes, notamment les infrastructures publiques et les services essentiels. D’autre part, il alimenta un sentiment nationaliste et une contestation de l’occupation, donnant naissance à une rhétorique politique et intellectuelle dénonçant la subordination du droit fiscal à des logiques de dépendance impériale. Le contrôle des douanes se révèle ainsi comme un paradigme de la subordination économique : la fiscalité nationale, jadis instrument de consolidation de l’État, fut convertie en levier de tutelle.
En définitive, l’analyse de la situation des douanes haïtiennes en 1915 permet d’articuler une lecture critique des relations entre souveraineté étatique et intervention étrangère. Elle illustre comment la captation des instruments fiscaux, sous couvert de sécurité financière et de service de la dette, opère une dépossession structurelle et institutionnelle, conditionnant durablement la capacité de l’État haïtien à exercer pleinement son autorité.