Par Camille Loty Malebranche
Pour combattre certains malentendus sémantiques courants dûs à l’ambiguïté propre à la connotation polysémique qui affecte le mot peuple, posons aujourd’hui la question toute simple : quand on dit « peuple », à qui fait-on exactement allusion? En vérité, rares sont des vocables, comme le lemme peuple, à générer une telle profusion abusive d’acceptions, vu son emploi prolifique quasi systématique dans le langage politique et médiatique! Et il est rarissime qu’un vocable aussi courant voire banal, qui ne constitue point un concept spécialisé, ait dans son sillage, une telle gangue de sèmes et de présupposés à si graves risques de contresens et de confusions sémantiques.
Disons que le mot peuple constitue un sémème référant aux trois principaux sèmes qui suivent:
l’Anthropologique, le Politique, le Socioéconomique.
Le Peuple et l’Anthropologie…
Dans le contexte de l’anthropologie culturelle et sociale, (l’ethnologie et l’ethnographie) surtout à l’heure de l’obsolescence sémantique du lemme « race », le mot peuple désigne assez souvent l’ensemble des congénères de la même ethnie. Et cette perception du peuple par l’ethnicité précède l’acception et la factualité légale-nationale du concept de peuple politiquement compris selon l’organisation sociale administrée par une chefferie qui fait du peuple, une nation. Sur le plan ethnique reconnaissable par une ethnie composante et de sa culture fondue dans ses mythes fondateurs. Ainsi anthropologiquement parlant, le peuple n’est point astreint à un territoire ou un pays, lesquels sont plus associés à l’idée de nation. Par exemple, l’on parle couramment des peuples yorouba, taïno, celte qui sont historiquement et géographiquement répandus dans plusieurs nationalités et ne sont pas des entités nationales-étatiques.
Le Peuple, la Politique et le statut de Nation.
Des temps archaïques aux tout premiers vagissements grégaires de l’humanité organisée en société, jusqu’à aujourd’hui, le peuple est, au sens politique, le regroupement social de familles et d’individus se reconnaissant des intérêts communs, souvent d’origines communes ou proches et qui se définissent un vivre ensemble prédéterminé par des mythes fondateurs, structuré par des lois et dirigé par une chefferie qui organise ledit vivre ensemble selon ces lois sociales communes. À ce stade, avant même l’apparition de l’État dans l’histoire, la nation avait déjà pris forme dans l’organisation des premières sociétés où tous, avec une chefferie intégrée non séparée en classe de pouvoir, se réunissaient sous l’obédience de celle-ci pour, avec celle-ci et de concert avec elle, discuter et décider de ce qu’il faut entreprendre pour le bien commun, c’est-à-dire la répartition des tâches, les associations avec d’autres sociétés, les principes du culte, les déclarations de guerre, l’organisation de l’économie par la gestion des ressources… Ici, il faut expliciter que l’État, une fois venu au monde, aura diminué la prédominance de nation par la prépondérance de la classe du pouvoir qui le caractérise. L’État est avant tout, une classe, celle du pouvoir qui se sépare du peuple pour décider à sa place et en son nom, le confinant au niveau de patient systémique, lui refusant ses prérogatives de peuple-nation des sociétés primitives organisées, pour soi disant en faire un État-Nation, chose impossible, en tout cas jamais vérifiée dans les faits – sinon que partiellement dans certaines révolutions populaires – vu le contexte de domination des majorités par une infime minorité! Sauf une refonte systémique totale de L’État peut engendrer un nouvel État au service du peuple et ainsi, pouvant se proclamer un État-Nation, sans classes. Pour l’heure, au regard de l’histoire, la société primitive anétatique (sans État) est de loin, celle qui a le plus éminemment constitué une nation – car exclusivement auto-dirigeante dans sa totalité – alors que la société étatisée est celle où la classe du pouvoir décide pour tous et donc enlève le pouvoir qui caractérisait en nation les premiers peuples. La nation est le schème politique de l’auto-gouvernance du peuple administré. C’est donc le peuple pris dans sa dimension politique autogérée et souveraine. Là, l’on comprend que l’on puisse avoir plusieurs nations d’un même peuple répandu géographiquement et constituant diverses sociétés selon les expériences historico-géographiques.
Le Peuple au sens socioéconomique.
Au sens moderne, le peuple est perçu comme la vaste majorité qui compose la population des territoires définis comme États c’est-à-dire pays souverains avec leur institution administrative dite État.
Dans ce contexte, le peuple est la multitude majoritaire que domine une élite économique généralement appelée bourgeoisie, elle-même très minoritaire et tendant à s’imposer par l’État qu’elle séquestre derrière des structures. C’est là que l’élite devient oligarchie, altérant et volant l’authenticité du pouvoir en se permettant de se substituer au pouvoir légal-national des peuples ainsi exclus de fait, de leur statut de nation. Nation, un mot vidé de son contenu par la voracité phagocytante de l’État bourgeois oligarchique qui utilise le peuple en foule pour sa légitimation tout en le trahissant au profit des très riches. L’exclusion du peuple par l’État manifeste fortement sa face monstrueuse dans la gestion économique où le système étatique transforme les peuples en travailleurs généralement précaires voire pauvres, alors que les oligarques s’enrichissent par l’instrumentalisation du peuple sans qui, il n’y aurait aucune richesse. Puisque, dans les faits, c’est le peuple qui, par son labeur, son savoir, son savoir-faire, sa consommation de masse, crée la richesse qu’accapare l’oligarchie par le pouvoir légaliste d’État à travers les subterfuges prédateurs de la finance et la malignité systémique de l’ordre économique et de ses lois.
Le discours politique et sociologique du refus de l’imposture oligarchique désigne par peuple la grande multitude ostracisée d’un pouvoir qui lui revient de droit mais que quelques-uns séquestrent pour en faire leur privilège exclusif. Ce discours arboré par tous les défenseurs politiques et autres amis de cette humanité bafouée que sont les majorités, en appelant « peuple », les masses ostracisées de la jouissance des biens communs de l’humanité et des nations, affirme et condamne donc le crash entre le Peuple effectif et l’État qui intègre dans son concept dénaturé de Nation, le vide de ses ostracismes et de ses discriminations contre à peu près tous en faveur des privilèges oligarchiques, État qui instaure presque toujours la dictature institutionnelle et la tyrannie légale de quelques-uns!
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
https://intellection.over-blog.com/2017/12/le-mot-peuple-et-son-triptyque-semique.html
The post Le triple champ sémique du mot Peuple. first appeared on Rezo Nòdwès.