La mission de soutien à la sécurité dirigée par le Kenya en Haïti se révèle actuellement inadaptée à sa finalité. Plus de six mois après son déploiement pour aider la police à reprendre le contrôle des territoires, les gangs armés continuent de gagner du terrain et du pouvoir, tandis que l’accès à une aide humanitaire vitale pour les civils se fait de plus en plus rare.
Pourquoi ce résultat, et que faire à présent ?
Une enquête approfondie menée par The New Humanitarian et le journal Nation du Kenya fait ressortir des lacunes considérables, notamment un manque de ressources, mais aussi la nature intrinsèquement complexe de la mission, qui pourrait avoir été vouée à l’échec dès le départ.
Appelée Multinational Security Support (MSS), cette mission a été approuvée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en octobre 2023, soit plus de deux ans après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Cet événement a plongé la capitale haïtienne, Port-au-Prince, dans un niveau inédit d’anarchie. Cependant, il a fallu presque une année supplémentaire pour que les États-Unis, principaux bailleurs de fonds, convainquent le Kenya de diriger la mission, malgré une opposition notable au sein des communautés internationales, kényane et haïtienne.
Initialement prévue pour mobiliser 2 500 officiers et soldats, la mission a déployé en juin 2024 environ 400 policiers kényans, largement isolés face aux gangs lourdement armés qui contrôlent pratiquement toutes les rues de la capitale. Bien qu’un contingent supplémentaire de 150 policiers militaires guatémaltèques soit arrivé en janvier 2025, le soutien promis par d’autres pays tarde à se concrétiser. Sur le terrain, les effectifs déployés – environ 590 agents – demeurent insuffisants et mal équipés.
Cette faiblesse structurelle s’accompagne d’une détérioration continue de la situation en Haïti. Les gangs ont étendu leur emprise à plusieurs villages et sept localités majeures autrefois épargnées. L’année 2024 a vu une escalade des violences, avec au moins 5 600 personnes tuées, 2 212 blessées et près de 703 000 déplacées, soit environ 6 % de la population. Ces déplacés, souvent réfugiés dans des camps de fortune, sont exposés aux maladies, à la violence sexuelle et au manque d’accès à l’eau potable ou à l’aide humanitaire. Parallèlement, environ 1,5 million d’enfants sont privés d’éducation, ce qui les rend vulnérables au recrutement par les gangs.
Le scepticisme envers la mission était palpable dès ses débuts, en raison de son financement incertain, de son mandat ambigu et de la capacité limitée des policiers kényans, dont la majorité ne parle ni le français ni le créole haïtien. Cette défiance s’est accentuée lorsque le président kényan William Ruto a contourné une décision judiciaire qui avait initialement bloqué le déploiement, en signant un accord direct avec le Premier ministre haïtien Ariel Henry en mars 2024. Cette visite fut marquée par une attaque coordonnée de gangs, aggravant davantage la situation.
Les faiblesses de la mission sont également exacerbées par une absence de coordination stratégique. Maria Isabel Salvador, responsable du BINUH, a critiqué l’approche de la MSS, qui s’est fondée sur les offres disponibles des pays contributeurs plutôt que sur une évaluation précise des besoins sur le terrain. La mission manque cruellement des 600 millions de dollars nécessaires pour opérer efficacement, n’ayant à ce jour collecté qu’environ 100 millions.
À cela s’ajoute l’incertitude politique en Haïti. Le Conseil présidentiel de transition, formé en avril 2024 pour préparer des élections, n’a pas progressé en raison de luttes internes. Face à cette instabilité, plusieurs pays, initialement engagés à fournir un soutien, se sont désengagés, citant des préoccupations sécuritaires ou des divergences stratégiques. Pendant ce temps, la population haïtienne continue de souffrir dans une spirale de violence et de précarité croissante.
Cette mission révèle une dynamique perverse : faute de résultats visibles, les pays hésitent à fournir davantage de ressources, ce qui empêche toute amélioration significative. Alors que des discussions se poursuivent pour transformer la MSS en mission de maintien de la paix sous mandat onusien, cette solution reste bloquée par les vetos de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité. Le futur de la mission demeure ainsi incertain, tandis que la crise en Haïti s’aggrave.
cliquez sur le lien pour continuer : The New Humanitarian | Haiti in-depth: Why the Kenya-led security mission is floundering