17 février 2025
Nous recevons souvent, moi avec plaisir, l’émission « Une page d’histoire » de Haïti Inter préparée et présentée par Guy Ferolus à qui j’adresse en passant mes félicitations les plus méritées. La vidéo que j’ai reçue hier et que je me suis empressé de faire circuler s’intitule : « Faut-il transférer la capitale d’Haïti au Cap-Haïtien? » Je l’ai transférée à plusieurs de mes correspondants Whatsapp. En tant que Capois depuis toujours, au moins depuis 1803, quand il est question du Cap-Haïtien il est question de moi, et c’est pourquoi je m’autorise à répondre à cette question par une autre: Cap-Haïtien capitale de quelle Haïti? Rappelons dès maintenant que le Cap a déjà été la capitale de la colonie de St-Domingue, de la République d’Haïti et du Royaume d’Haïti.
La République d’Haïti est née dans sa configuration actuelle en octobre 1820 après la mort de Roi Christophe et l’assassinat de plusieurs de ses collaborateurs et de son fils Victor-Henri qui devait lui succéder. L’assassinat aussi d’un grand nombre de citoyens du royaume par les troupes de Boyer qui avaient commencé à envahir le Nord après l’AVC de Christophe (à l’époque on disait apoplexie) qui l’avait considérablement affaibli physiquement et diminué politiquement. Avant ces événements d’octobre 1820 l’entité étatique dénommée République d’Haïti née de la partition de l’Empire d’Haïti en 1806 après l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines s’étendait de Montrouis (grosso modo) à l’Île à Vache et sa capitale était Port-au-Prince. En annexant le territoire d Royaume d’Haïti (les actuels départements de l’Artibonite, du Centre, du Nord, du Nord-Est et du Nord-Ouest, le Grand Nord) la république s’est agrandie, a été divisée à l’origine en cinq (5) départements puis en neuf (9), puis en dix (10) à la suite d’interventions de François Duvalier et de Jean-Bertrand Aristide.
Nous devons savoir que le Cap dont plusieurs compatriotes du Nord comme du Sud, vivant dans le pays ou dans la diaspora, voudraient faire la capitale d’Haïti a déjà été après l’assassinat de l’empereur de la façon qu’on sait, par qui on sait, la capitale d’un état riche, en santé, cultivé, organisé, instruit, éclairé, rationnellement administré, progressiste et prêt à se défendre, d’un état dont la diplomatie souveraine justifiait l’admiration et le respect de certains intellectuels britanniques et surtout des hommes d’état d’un pays comme le Royaume de Prusse dont le Ministre des Affaires Étrangères (dénomination contemporaine) était en correspondance régulière avec celui de Christophe. Certains chercheurs pensent même que le palais de Christophe à Milot a été nommé Sans Souci à la suggestion des autorités prussiennes qui venaient de terminer la construction de leur palais dénommé Sanssouci (en un mot).
Nous devons savoir que la République d’Haïti dont la capitale Port-au-Prince a ébloui le monde en 1949 à l’anniversaire du deuxième centenaire de sa fondation n’existe plus depuis 1957 et surtout depuis 1991 et 1994 alors qu’elle a été livrée au pillage politique. Ce qui en tient lieu ne ressemble nullement à aucun état dont le Cap a été la capitale, ni à aucun état dont le Cap (les Capois) souhaiterait devenir la capitale.
Il est vrai que Port-au-Prince n’est plus une capitale, ni même plus une ville. Si on retient qu’une capitale est un lieu où se prennent des décisions qui concernent une nation et qui positionnent un pays par rapport à d’autres proches ou éloignés, c’est-à-dire un pays où les gestionnaires de l’état proposent des réflexions et des orientations qui définissent les éléments du bien-être commun et entreprennent des actions de coordination administrative pour aplanir les obstacles à la con-citoyenneté, Port-au-Prince n’est plus une capitale, car il n’y a de capitale que d’un pays et il n’y a de pays que d’une NATION c’est-à-dire d’un ensemble d’êtres humains capables « de transcender ces antagonismes d’intérêt(s) (particuliers) … dans la recherche … de l’expression de l’intérêt commun … (un ensemble d’êtres humains) liés par une culture, une mémoire commune … (qui) choisissent de continuer à mener une vie commune pour réaliser ensemble un projet commun » telle que l’a définie Patrice Dalencour dans « Le Miroir du carnaval » (Whatsapp, 14 février 2025). Malheureusement son constat, et le nôtre, est « cet échec bicentenaire à former nation »
Pas de nation, pas de pays, pas de capitale ni à garder ni à transférer. Pourtant il y a des millions d’hommes et de femmes individuellement de nationalité et de citoyenneté haïtienne qui demandent chaque jour que leur pays soit, que les douze millions qu’ils forment soient solidaires les uns des autres, que l’indépendance ne soit pas qu’un mot, ne soit pas qu’un prétexte pour prendre de la soup joumou chacun dans son coin, mais qu’au contraire la soup joumou soit un des langages dans lesquels nous exprimons notre volonté de vivre ensemble. Un des langages car il y en a d’autres permanent ou ponctuels. Celui d’aujourd’hui est la mise en commun de nos outils de combat, quels qu’ils soient, pour dénoncer l’inhumanité des gangs, pour leur résister, pour les affronter, les vaincre et finalement reconquérir l’espace public. Les Capois, en tant que Capois et en tant qu’Haïtiens doivent se préparer à mener ce combat qui est aussi le leur à côté des Port-au-Princiens et des Haïtiens de partout. Si ensuite il faut malgré tout parler du déménagement de la capitale ce ne sera pas dans une démarche de fuite en abandonnant Port-au-Prince aux gangs.
Cette préparation doit commencer par une réflexion qui nous ramène plus de deux cents ans en arrière. On ne le dira jamais assez. Il y a plus de deux cents ans le Royaume du Nord administré par Christophe était florissant. Tout, mais vraiment tout, y était plus développé que dans la République d’Haïti de Pétion et de Boyer. Les citoyens du royaume, sujets de Roi il faut l’admettre, étaient plus instruits, plus cultivés, mieux nourris, mieux soignés, plus solidaires les uns des autres que ceux de la république. Les fabriques qui tenaient lieu d’industries étaient adaptées aux besoins de la population. L’artisanat étaient variés au point que les artisans étaient divisés en corps de métiers ayant chacun son local où les membres se réunissaient pour leurs affaires et où ils fêtaient leurs saints patrons chaque année dans l’abondance et la bonne humeur. Les habitants des villes et des campagnes étaient décemment et hygiéniquement logés dans des maisons où grandissaient leurs enfants. Le grand nombre de guildives transformaient la canne produite dans les champs. Le café, le cacao, le bois de différentes essences étaient objets de commerce avec d’autres pays malgré l’embargo imposé pendant soixante (60) ans par nos amis (?) les États-Unis d’Amérique. L’agriculture était variée et abondante de sorte que les gens du Nord étaient assurés d’une alimentation saine et régulière. N’oublions pas, pendant qu’on en parle, que le Royaume d’Haïti, et plus tard les départements du nord de la République d’Haïti ont exporté jusqu’à tout récemment des vivres alimentaires aux îles qui forment les petites Antilles. En matière de défense on parle toujours de la Citadelle. Avec raison. Mais on oublie que le royaume était traversé par un réseau de petits forts qui convergeaient tous vers le Parc des Ramiers. En cas de tentatives de retour des Français ou d’attaques par d’autres puissances, la population civile pouvait se rendre d’un fort à l’autre où elle était prise en charge, soignée, nourrie et remise en route accompagnée d’une escorte militaire jusqu’au Parc des Ramiers où à l’ombre de la Citadelle elle pouvait attendre la fin des hostilités et la victoire avant de retourner à ses terres. Ceux qui accusent Henry Christophe à la légère d’avoir construit la Citadelle par mégalomanie pour sa gloire et son renom ignorent que cette merveille de génie militaire garantissait à la population du royaume qu’elle serait vivante après un affrontement avec un éventuel ennemi. Le souci du Roi était la survie de son peuple.
C’est de ce pays que le Cap (OKAP) était la capitale. Un pays qui prônait le respect des aînés, qui valorisait l’instruction, la culture, le travail, l’imagination, le courage, le patriotisme, qui sont les composantes de la solidarité; un pays sans gangs patronnés par des bourgeois, des politiciens et des diplomates criminels; un pays où l’on ne disputait pas la voie publique avec des immondices malodorantes; un pays où la vie d’autrui était respectée. C’est de ce pays que le Cap était la capitale, un pays dont l’avenir a été une première fois assassiné en 1820, et par la suite quand en plein milieu du 20ème siècle, alors qu’Haïti venait de vivre son âge d’or (1946 – 1956) des dictatures sanguinaires, rétrogrades, anti-peuple, anti-humanité, se sont installées, ont pris racines, se sont métamorphosées en cette bête aux multiples têtes de gangs, associée à cette autre bête aux neuf (9) têtes appelée CPT.
L’association de ces deux monstres polycéphales semble avoir pris pour très longtemps le contrôle d’une partie importante du pays dont la capitale et ses environs. Nous devons faire que ce ne soit qu’une apparence en nous attaquant à la racine de cette situation qui en est apparemment la cause et l’effet : « cet échec bicentenaire (?) de former nation ». Il faut examiner d’un œil critique les conditions dans lesquelles cette république s’est formée en 1806 après que ses fondateurs aient brutalement interrompu l’expérience en cours de la formation d’une NATION en assassinant l’empereur et tout de suite après en voulant imposer à Christophe de renoncer à cette expérience. Il faut examiner aussi les conditions de violence et d’exclusion dans lesquelles cette république s’est étendue à tout le pays après la mort de Christophe en 1820. Il faut aussi observer que de 1806 à 1820 cette partie du pays dirigée par Christophe s’est développée de façon inattendue au point de devenir, et de rester, un modèle de gouvernance et une NATION dans laquelle chacun reconnaissait dans le voisin un partenaire dans la réalisation d’un projet commun. C’est de cette NATION à faire « renaitre de ses cendres » que le Cap peut être demain la capitale, pas de la république des gangs, des politiciens nationicides et de cette bourgeoisie dont le mot d’ordre est d’exclure par n’importe quel moyen les descendants des esclaves de St-Domingue des bénéfices de leur labeur.
Il faudra l’admettre, aujourd’hui plutôt que demain : cette actuelle République d’Haïti est formée de deux (2) pays, de deux histoires, de deux projets différents et de deux ambitions quasi contradictoires. Il y a donc depuis plus de deux cents ans possibilité de deux NATIONS qui n’arrivent pas à advenir mais que nous devons faire sortir de leurs calebasses afin que conjointement et séparément, selon les circonstances et leurs intérêts ponctuels elles luttent contre les gangs aujourd’hui, et chaque jour contre la dépendance et la misère physique, intellectuelle, économique, morale et toutes les autres formes de misère qui se développeront.
SÉPARÉMENT ET CONJOINTEMENT.
Je propose donc la création de deux (2) entités étatiques autonomes l’une par rapport à l’autre dans certains domaines, mais associées par des liens fédératifs contraignants. Ces entités qu’on pourra appeler régions, provinces, états, cantons ou comme on voudra, mais que je propose d’appeler régions, la Région du Nord et la Région du Sud auront leur propre gouvernement régional, leur propre législature régionale monocamérale et des compétences définies dans leurs constitutions régionales, mais formeront entre elles un état fédéral nommé République d’Haïti dont les compétences et les rapports avec les régions seront définis dans la constitution fédérale. Le Cap-Haïtien sera la capitale de la Région du Nord et Jacmel celle de la région du Sud. À cause des équipements immobiliers qui y sont déjà il me parait normal que Port-au-Prince soit la capitale fédérale. Il y aura mille arguments contre cette proposition, Je les attends.
Henri Piquion