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New York Times – Haiti | Insécurité et défaillance du système sanitaire – seuls 39 des 92 centres de santé de Port-au-Prince sont encore ouverts

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Une infrastructure hospitalière en péril malgré des investissements massifs

« Sur les 92 établissements de santé de la zone métropolitaine, seuls 39 sont opérationnels, selon l’Organisation panaméricaine de la santé. »

L’incendie criminel ayant ravagé l’hôpital général de Port-au-Prince constitue un point d’inflexion critique dans la crise systémique que traverse Haïti. Cette attaque, perpétrée par des groupes armés, dépasse la simple destruction matérielle ; elle incarne l’effondrement progressif des services publics, notamment sanitaires, dans un pays où l’instabilité politique et la violence ont pris le pas sur toute tentative de reconstruction. Alors que la communauté internationale, en particulier les États-Unis et la France, a engagé des sommes colossales dans la réhabilitation du système de santé haïtien, les résultats escomptés demeurent largement inaccessibles en raison de la fragilité institutionnelle et de l’absence de contrôle effectif du territoire par les autorités étatiques.

L’hôpital général de Port-au-Prince : une infrastructure emblématique d’un échec structurel

L’hôpital général de Port-au-Prince, fondé sous l’occupation américaine (1915-1934), a longtemps été le centre névralgique de la santé publique haïtienne. Gravement endommagé lors du séisme de 2010, il a fait l’objet d’un projet de reconstruction ambitieux porté par des bailleurs internationaux. La rénovation, financée notamment par 40 millions de dollars de la France et 25 millions de dollars des États-Unis, devait aboutir à l’ouverture d’une aile moderne de 500 lits, équipée de services médicaux spécialisés. Toutefois, neuf ans de retards, des surcoûts exponentiels et l’incapacité de l’État haïtien à assumer sa part financière ont entravé l’achèvement de ce projet.

Les attaques répétées contre cet hôpital traduisent une dynamique plus large de destruction des infrastructures publiques en Haïti, où l’absence de gouvernance effective a laissé place à un contrôle territorial exercé par des groupes armés. Le 24 décembre 2024, une tentative de réouverture partielle a été avortée après une attaque violente ayant causé la mort d’un policier et de deux journalistes. En février 2025, un incendie criminel a détruit une partie de l’établissement, provoquant des pertes estimées entre 3 et 4 millions de dollars et retardant toute perspective de réhabilitation d’au moins deux ans.

Un système de santé en état de déliquescence avancée

La destruction de l’hôpital général s’inscrit dans un processus de désagrégation progressive du système de santé haïtien. Selon l’Organisation panaméricaine de la santé, seulement 39 des 92 établissements sanitaires de la zone métropolitaine sont actuellement fonctionnels, tandis que l’unique centre de dialyse du pays, autrefois situé dans cet hôpital, n’est plus accessible. L’impact humanitaire de cette situation est dramatique :

  • 20 % des 10 millions d’Haïtiens souffrent d’insécurité alimentaire aiguë ;
  • 1 million de personnes ont été déplacées par la violence, exacerbant les besoins en assistance médicale d’urgence ;
  • Les structures hospitalières encore ouvertes fonctionnent en sous-effectif chronique et avec des ressources limitées.

L’incapacité des institutions haïtiennes à garantir la sécurité des infrastructures médicales conduit à une hémorragie du personnel soignant. Témoignant de cette réalité, le directeur de l’hôpital général, le Dr Pierre S. Prince, a déclaré : « Les médecins sont terrorisés, nos résidents et internes sont en détresse. Beaucoup ont quitté leurs postes. » Depuis un an, les 800 employés de l’hôpital perçoivent leur salaire sans pouvoir exercer leur fonction, faute d’un environnement sécurisé.

L’aide internationale face à l’impasse haïtienne

La crise sanitaire actuelle met en lumière les contradictions et les limites de l’aide internationale en Haïti. Depuis le séisme de 2010, les États-Unis ont investi près de 2,3 milliards de dollars dans la reconstruction du pays, dont une partie significative dédiée au renforcement du secteur hospitalier. Toutefois, un rapport du Government Accountability Office (GAO), publié en 2023, fait état d’une gestion chaotique des fonds alloués, marquée par des dépassements de coûts massifs et des résultats largement en deçà des objectifs initiaux.

L’hôpital général de Port-au-Prince en est un exemple frappant :

  • Malgré les investissements cumulés de près de 100 millions de dollars, l’infrastructure demeure inachevée et inopérante ;
  • Les équipements médicaux, censés être livrés et installés, ont été soit retardés, soit pillés lors des vagues de violence récentes ;
  • L’insécurité généralisée empêche toute mise en œuvre efficace des projets financés par l’étranger.

À cette situation s’ajoute un contexte politique défavorable. Sous l’administration Trump, une réduction drastique des financements alloués à l’USAID a remis en question la viabilité de plusieurs programmes en Haïti. Le département d’État américain a récemment annoncé une révision complète de l’aide bilatérale, conditionnant le maintien des financements à leur alignement sur les intérêts stratégiques des États-Unis.

Une crise multidimensionnelle : entre chaos sécuritaire et gouvernance défaillante

Si la dégradation du système de santé haïtien trouve son origine dans des failles structurelles antérieures, elle est aujourd’hui amplifiée par la déliquescence de l’État et l’emprise croissante des groupes armés. La destruction de l’hôpital général ne relève pas d’un simple incident isolé, mais d’un phénomène récurrent : les gangs ciblent de manière systématique les infrastructures sanitaires, les considérant comme des points stratégiques de pouvoir et de ressources.

Les efforts de la communauté internationale pour stabiliser Haïti restent largement inefficaces en l’absence d’une gouvernance fonctionnelle. L’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, suivi d’une montée exponentielle de la violence, a plongé le pays dans une spirale d’instabilité. À cela s’ajoute une gestion opaque et inefficace des fonds d’aide. Comme l’a souligné récemment le Premier ministre haïtien Alix Didier Fils-Aimé dans un message publié sur X : « Des milliards ont été dépensés en Haïti sans aucun contrôle. »

Vers une issue possible ?

L’avenir du système de santé haïtien repose sur plusieurs facteurs essentiels :

  1. La sécurisation des infrastructures médicales : sans un cadre sécuritaire minimum, toute tentative de reconstruction est vouée à l’échec.
  2. Une réforme profonde de la gestion de l’aide internationale : la transparence et l’efficacité dans l’affectation des financements sont des conditions sine qua non pour espérer un impact durable.
  3. Un engagement accru de l’État haïtien : la communauté internationale ne peut se substituer indéfiniment à une gouvernance nationale défaillante.

À défaut de progrès sur ces axes, la destruction de l’hôpital général de Port-au-Prince restera le symbole d’une crise où l’instabilité et la violence ont réduit à néant des décennies d’efforts en matière de développement sanitaire. La communauté internationale, tout comme les autorités haïtiennes, se trouve désormais face à une impasse : continuer à investir dans des infrastructures qui risquent d’être détruites ou pillées, ou repenser entièrement leur approche en matière d’aide et de coopération.

source : New York Times

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