Haïti face à l’abîme : il est urgent d’adopter une législation antiterroriste
Daniel Chavannes
Parmi les innombrables urgences qui assiègent Haïti, il en est une qui, jusqu’ici, a été trop longtemps éludée, comme si le simple fait de la nommer risquait d’en confirmer l’irréversibilité : le terrorisme. Cette semaine, les États-Unis ont officiellement désigné les gangs armés haïtiens comme organisations terroristes. Il ne s’agit pas d’un geste symbolique, mais d’un signal clair, brutal, diplomatiquement implacable, adressé à la fois à Port-au-Prince et à la communauté internationale.
Haïti ne peut plus se contenter d’observer ou de réagir au coup par coup, entre des offensives policières aussi héroïques que désespérées et des déclarations d’intention sans lendemain. Il faut que l’État haïtien assume désormais, dans son propre droit, ce que le monde entier a reconnu : les bandes armées qui ravagent la capitale, rançonnent les ports, brûlent les écoles, tuent journalistes et infirmières, ne sont plus des gangs ordinaires. Ce sont des entités terroristes, qui usent de la violence armée pour imposer un pouvoir parallèle, contrôler des pans entiers du territoire et semer une terreur organisée à des fins politiques, économiques ou mafieuses.
Dès lors, ne pas doter le pays d’une législation spécifique contre le terrorisme revient à désarmer la République elle-même.
Car si Haïti ne qualifie pas légalement ces groupes pour ce qu’ils sont, elle se prive de toute une série de leviers essentiels : poursuites judiciaires renforcées, mécanismes de coopération internationale accrus, gel ciblé des avoirs, traçabilité financière, extraterritorialité des crimes, sanctions pénales à la hauteur du fléau.
Sans un cadre légal antiterroriste, la justice haïtienne continuera de poursuivre des chefs de gangs pour des délits de droit commun, pendant que ceux-ci continuent de décapiter l’État, avec une efficacité méthodique. Les commerçants terrorisés continueront de payer un « droit de passage » aux bandits, pendant que les routes et ports sont à leur merci. Les diplomates du monde entier, eux, auront les mains liées au moment d’offrir une coopération technique ou militaire.
Cette loi n’a rien d’un luxe juridique. Elle est une arme de souveraineté, un acte de survie nationale. Et c’est aux autorités haïtiennes de la porter avec force et courage, dans un geste d’unité républicaine. Elle ne suffira pas, à elle seule, à vaincre les groupes armés. Mais elle rendra enfin possible une stratégie cohérente, inscrite dans la légalité internationale, qui puisse mobiliser tous les partenaires sincères d’Haïti.
Il est minuit moins une. Le peuple haïtien n’en peut plus de subir l’indicible. À ceux qui détiennent encore le pouvoir de légiférer — même dans les décombres de l’État — il appartient de franchir ce seuil symbolique et vital : nommer le mal pour pouvoir le combattre. Adopter sans délai une loi antiterroriste, c’est refuser de laisser à d’autres le soin d’écrire notre tragédie. C’est choisir de résister. C’est commencer à reconstruire.