Dans les diverses zones éloignées du Nord-Ouest d’Haïti, là où les succursales bancaires sont aussi rares que les routes asphaltées, un téléphone portable pourrait bien devenir la clé de l’inclusion financière. Alors que ce département ne représente que 3 % des utilisateurs d’institutions de microfinance et 2,13 % des succursales bancaires du pays, l’innovation numérique pourrait ouvrir de nouveaux horizons aux habitants longtemps laissés en marge du système économique formel.
Un désert bancaire…
Le Nord-Ouest fait face à une faible densité d’infrastructures financières : peu de guichets automatiques, encore moins d’agents non bancaires. Les coopératives d’épargne et de crédit (CEC) y sont présentes mais restent limitées en portée. Cette situation contribue à l’exclusion de milliers de familles, d’agriculteurs et de petits commerçants qui n’ont ni compte bancaire, ni accès au crédit formel.
Dans un pays où près de 46 % de la population est exclue du système financier, le déséquilibre territorial devient une question urgente de justice économique.
… mais un territoire connecté
Paradoxalement, ce que le Nord-Ouest n’a pas en guichets, il le gagne progressivement en connectivité. Selon la Banque de la République d’Haïti, la montée du mobile banking et des fintechs permet aujourd’hui de contourner les contraintes d’implantation physique. Le taux de possession de téléphones portables y est en hausse, et les transferts d’argent via mobile y jouent un rôle crucial, notamment pour les familles recevant des fonds depuis l’étranger.
L’agent banking, une solution sur mesure
Face aux limites structurelles, le modèle de l’agent bancaire (agent banking), déjà en déploiement dans certaines zones rurales du pays, pourrait être une solution viable pour le Nord-Ouest. Il permettrait à des épiceries, kiosques ou petites entreprises locales de devenir des relais financiers – distribution de cash, ouverture de comptes, dépôts, paiements de factures.
Mais cela exige un investissement ciblé en formation, en régulation, et surtout en sensibilisation. Car là où la méfiance vis-à-vis du système bancaire est tenace, la confiance se bâtit dans la proximité.
Pour que le mobile banking devienne un véritable levier d’inclusion dans le Nord-Ouest, certaines conditions doivent être réunies afin de garantir son efficacité et sa pérennité. Tout d’abord, il est indispensable de renforcer la couverture réseau, notamment en assurant une connectivité stable en 3G au minimum, même dans les zones rurales les plus reculées. Sans infrastructure numérique fiable, les transactions mobiles resteront inaccessibles à une grande partie de la population.
Par ailleurs, l’instauration de tarifs incitatifs pour les services financiers mobiles pourrait favoriser une adoption plus large par les ménages à faibles revenus, souvent découragés par les frais élevés. Le soutien aux fintechs locales joue également un rôle central dans cette dynamique, en leur offrant les moyens techniques et réglementaires de développer des solutions adaptées au contexte rural haïtien.
À cela s’ajoute la nécessité d’organiser des campagnes d’éducation financière, spécifiquement axées sur les outils numériques, afin que les utilisateurs potentiels comprennent le fonctionnement et les avantages du mobile banking. Enfin, cette transformation ne saurait aboutir sans une collaboration étroite entre les différents acteurs institutionnels : la Banque de la République d’Haïti (BRH), le CONATEL, les opérateurs de téléphonie mobile et les institutions de microfinance (IMF). Ensemble, ils doivent construire un écosystème où la technologie devient un véritable pont entre les citoyens du Nord-Ouest et le système financier national.
Vers un modèle haïtien d’inclusion numérique
Le Nord-Ouest, longtemps oublié dans les stratégies financières traditionnelles, peut devenir un laboratoire d’innovation inclusive. En misant sur le mobile banking, Haïti peut à la fois renforcer sa résilience économique et rapprocher l’État de ses citoyens.
Et si la révolution financière en Haïti ne passait pas par des banques en béton, mais par des comptes dans la poche ?
Marie Maude Vimont