Après les traditionnels vœux de Joyeux Noël, il est impératif de nous pencher sur la situation d’Haïti pour en faire une analyse à la fois rationnelle, spirituelle, et sociologique.
Haïti va mal. C’est un fait indéniable. Mais pourquoi ?
Je pose ici une question iconoclaste :
La croyance en un Dieu interventionniste et bon n’est-elle pas un frein à l’organisation collective des Haïtiens ?
Ces croyances, qui s’accompagnent souvent d’attentisme et de délégation excessive de responsabilités aux Saints, aux Anges, à Dieu et même aux Lwa, ne ralentissent-elles pas les efforts d’auto-organisation de notre société ?
Le poids de la religion dans la société haïtienne
Historiquement, le catholicisme, introduit durant l’époque coloniale, et plus récemment, le protestantisme, ont occupé une place centrale dans la vie sociale et spirituelle d’Haïti. Ces religions offrent une forme de résilience face aux épreuves – qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de pauvreté, ou d’instabilité politique.
Cependant, cette foi, lorsqu’elle est mal interprétée, peut devenir un frein au changement. Loin d’encourager une prise d’initiative collective, elle instille l’idée erronée que seule une intervention divine ou étrangère peut résoudre les problèmes d’Haïti. Ainsi, les églises chrétiennes et les temples protestants, au lieu de devenir des foyers de patriotisme et d’action communautaire, deviennent des lieux favorisant la résignation et l’attentisme divin.
Dans le cas d’Haïti, cette vision fataliste transforme les croyants en spectateurs passifs, manipulés par des intérêts apatrides. Le Vodou moderne n’échappe pas à cette critique : un culte ancestral, pragmatique et révolutionnaire, a été transformé en religion passive, imitant les structures imposées par les colons.
Une dépendance mortifère à l’intervention divine
La croyance que le « Bon Dieu » ou les « Lwa » résoudront les problèmes sociaux, économiques, et politiques du pays est un mythe dangereux. Elle nourrit l’inaction collective et maintient le statu quo, exacerbant les divisions entre confessions (catholiques, protestants, vodouisants).
Certes, la foi peut être un moteur de mobilisation, comme l’a montré la Théologie de la Libération dans les années 1990. Cependant, en Haïti, ce mouvement a été perverti, paralysant le rôle clé des églises dans leur engagement social.
Même des organisations telles que la Franc-maçonnerie, pourtant censées être des éclaireurs, se sont accommodées du statu quo politique sous prétexte d’apolitisme.
Vers une solution : un rejet de l’attentisme religieux
Il est temps de rejeter ce qui abêtit et emprisonne l’esprit. Voici quelques pistes à explorer :
1. Changer notre perception de Dieu :
Ne l’appelons plus « Bon Dieu », « Gran Mèt », ou « Papa nou », mais l’Inaccessible. Puisque Dieu est « Inaccessible », ne comptons pas sur Lui pour résoudre nos problèmes terrestres. Au contraire, prouvons son existence par nos actions : dans la sainteté de nos comportements, dans le respect de la vie, et dans l’exigence de la transparence.
2. Repenser nos relations internationales :
Les « pays amis » d’Haïti ne sont pas des amis. Haïti ne doit pas dépendre de la charité internationale, mais établir des partenariats bénéfiques et réciproques.
3. Prendre notre destin en main :
Si l’État a échoué face à la prolifération des gangs, les citoyens doivent s’organiser pour restaurer la sécurité et reprendre le contrôle de leurs communautés.
4. Revaloriser Haïti comme Eldorado :
Haïti doit devenir le rêve de ses enfants. L’exode massif des jeunes et des élites intellectuelles affaiblit le pays. Il faut redonner espoir et opportunités à ceux qui partent.
5. Éliminer le paternalisme politique :
L’État ne doit pas être vu comme un chef paternaliste, mais comme une institution appartenant à tous. Les Haïtiens doivent eux-mêmes financer leurs élections et exiger la transparence.
Un constat réaliste, mais une lueur d’espoir
Je ne prétends pas détenir la solution à tous les maux d’Haïti. Cependant, il est clair que la résignation religieuse et l’attentisme doivent être remplacés par une action collective et pragmatique.
Malgré les défis – instabilité politique, corruption, catastrophes naturelles, chômage de masse – Haïti reste un pays doté d’un patrimoine culturel riche et d’un potentiel immense. Avec une vision commune, un changement est possible.
En cette période de Noël, que cette réflexion nous pousse à agir avec responsabilité, foi en nos capacités, et détermination à construire un avenir meilleur pour Haïti.
Patriotiquement et spirituellement,
Fr. Gaétan Mentor